Le bunker.

Mon bureau ne ressemble pas à un bureau.

Un loft peut-être.

Un loft à l’envers. En désordre. Un peu malpropre, aussi.

Un carré à moitié illuminé.

Un carré sombre.

Un bureau qui me ressemble.

Sur un mur, une table à dessin encombrée où je ne dessine pas. Une belle pièce en bois, oeuvre d’un ébéniste et cadeau d’un client précieux, sur laquelle sont déposées des maquettes proposées-réalisées-facturées et d’autres refusées-non-facturées-néanmoins-pas-tant-désintéressantes-ou-pas-du-tout-c’est-selon, des livres, de la documentation dont je sais vraiment quoi faire.

Sur un autre mur, des bibliothèques métalliques pleines de livres et de magazines sur le graphisme que je ne consulte jamais. Depuis des années.

Au milieu, un bureau sur lequel est déposé mon ordinateur. Bureau encombré aussi. Les mouvements de ma souris tassant ce qui l’entoure. Des notes. Des papiers. Des livres – encore. Des crayons. Des fils reliés à rien. Des fils perdus. Sans sens. Y a même un lecteur CD. WoW. Technologie d’avant-garde.

J’ai aussi des speakers qui crachent une musique souvent trop forte.

Une chaise plus ou moins confortable. Dessous, un rond sur le plancher de bois. Dessiné par un frottement circulaire. Une chorégraphie d’ébéniste. Sabler le plancher à force de s’y frotter. Dans un cycle infini. C’est drôle. Incohérent. Moi, qui n’a pourtant pas l’impression de tourner en rond. Je le fais peut-être. Dites-le moi. SVP. On est souvent très mauvais juge de soi-même. Souvent. Trop.

Je suis entouré de fenêtres plutôt sales. Comme je ne peux palier à la négligence de mon propriétaire, alors je laisse aller. Ça me dédouane. Pas ma faute. Belle métaphore, non? L’idée de nettoyer les fenêtres de son coté, mais de ne pas mieux voir parce que la partie dont on ne contrôle rien n’est pas plus propre, c’est plutôt un clin d’œil à la société, non?

J’ai sur une charpente de bois – quelques deux par quatre maladroitement vissés qui me servent de chevalet, une toile inachevée montée sur un cadre. Qui demanderait à être recouverte d’une couche de gesso. Encore. Pour la deuxième fois. Mauvais peintre. Recouvrir ses erreurs. Recommencer. Encore. Artiste raté.

Sur le demi-mur ronronne un vieux frigo où s’entasse quelques bières et du vin. Et de temps en temps, un truc bleu qui pue qui a peut-être, jadis, un jour, ressemblé à un sandwich. Je ne sais pas. Je ne suis pas médecin légiste. Encore moins archéologue.

Y a aussi dans cette pièce deux causeuse rouges. Face à face. Imposantes. Importantes.

Mes amis surnomment mon bureau, le bunker.

Ça lui va bien comme nom je trouve.

Moi qui a toujours eu l’âme d’un soldat.

Pas celui qui va à la guerre, celui qui est on duty. Prêt.

On duty. On. Off. Prêt. On duty.

Y’a pas de traduction meilleure que ces deux mots. Je ne sais pas comment traduire ça. Dites-moi.

Le bunker, donc. Et ses causeuses. Où l’on cause.

Les clients. Les copains. Les deux.

J’ai toujours pensé que j’étais plus verbal qu’auditif. En vieillissant, je réalise que j’écoute plus qu’avant. D’ailleurs, je lis plus que j’écris. J’observe plus que je commente. On change. Et on a le droit de. Surtout.

Ces deux divans forcent la confidence.

C’est peut-être nos paradigmes qui nous forcent à se confier quand un divan fait face à un autre. Je n’ai pas l’âme d’un psy. Encore moi les connaissances. Seulement l’emplacement.

Ces deux divans.

Le bunker, ça lui va bien comme nom.

Ce côté square, mais créatif.

Anonyme.

Hermétique.

Cocon.

Papillon.

Pour moi.

Et ceux qui y passent.

Dany.

J’avoue que ce n’est pas son talent que j’ai apprécié en premier. Sa beauté peut-être. Celle de la jeunesse. Grand blond avec une couette. Il me faisait penser à moi. En plus beau. En plus grand. J’avais la couette. La couleur des cheveux. Pas la beauté. Ni la jeunesse.

Ses illustrations étaient magnifiques. Un artiste avec un talent fou. Un trait de crayon sans hésitation. Un humour et une intelligence qui se démarquaient. En agence, pour le jeune directeur artistique que j’étais, le Klondike et une menace. À la fois. Capable de réaliser tes idées encore mieux que tu ne les as pensés toi-même. Capable de te faire mal paraître au niveau technique. Je l’ai engagé tout de suite. Le talent, tu ne passes pas à côté de ça. Fuck le reste.

Le gars s’est avéré un compagnon de travail incroyable. On partageait le même humour. Des idées rocambolesques. Une connexion formidable. Et puis la récession est arrivée. Les mises à pied. Lui, pas moi. Le départ pour Québec. On s’est quitté. Moi, avec ma job pesante, obligatoire, puisque j’assumais le seul revenu familial; lui, avec son talent, cette jeunesse et cette jungle professionnelle qui l’attendait.

J’ai envié sa mise à pied. En jalousant plutôt sa vie. Sa jeunesse. En plaçant sur la balance, cette vie professionnelle que j’aurais voulu plus enivrante et cette vie familiale arrivée trop rapidement. 

J’aurais voulu être celui pour qui tout était possible. Pas celui pour qui tout était déjà tracé. Je n’étais pas si vieux. Je l’ai réalisé par la suite, mais je n’étais pas encore au niveau de ces idées-là.

Je ne l’ai jamais revu.

Si. 

Je l’ai croisé.

Comme j’étais un habitué du terminus d’autobus  – réalité de parents séparés en villes éloignées – je l’ai vu sortir du bus de Québec alors que j’avais le cœur brisé d’entrer mes enfants dans le même bus, avec dans leurs mains un sous-marin Subway et leurs valises. 

Salut. Salut.

C’est tout.

J’étais dans la salle bain quand j’ai entendu frapper à la porte de mon bureau.

En pleines vacances de la construction. Une douzaine d’appels. Pas plus. Sept, pour moi. Les autres, c’est un running gag : tous ces appels pour des gens qui ne sont pas moi. Pas plus de courriels. Alors que dire d’entendre cogner à sa porte. Probabilité nulle. Un client (peu probable). Un ami (peu probable avant 17h). Un itinérant (ils préfèrent les marches). 

Je suis entré dans mon bureau et je suis tombé sur lui.

L’ai reconnu tout de suite.

Pas la jeunesse. Moi non plus. 

Mais le sourire. Ce corps long et flexible capable de raconter des conneries et de les mimer en même temps. Il n’avait pas changé d’un iotas.

Je l’ai pris dans mes bras comme si je le connaissais depuis des années. Moi, qui ne l’avais jamais pris dans mes bras.

On a jasé voyage, vie, etc. Un condensé d’une heure. On a ri. Comme avant. Comme il y’a près de 25 ans.

J’ai eu l’impression que c’était hier. Ce grand veau plein de talent et moi, ce gars entré dans une vie qu’il ne désirait pas tant que ça.

On a parlé Grèce, Pérou, Indonésie, Maroc.

On a parlé de villes qu’on n’avait, ni lui ni moi, eu même l’idée de visiter à l’époque.

La vie est parfois une autoroute, un boulevard, un chemin de terre ou une ruelle, où, tous les jours, nous croisons des gens par affaires, par hasard, par ci, par là. Et puis, un jour de canicule, où la sueur te coule dans le dos, où la poussière s’accumule sur ton bureau, il est débarqué.

– T’as pas changé.

– Toi, non plus.

C’était une belle rencontre, Dany.

Vraiment. 

Reviens me voir.

Pas hier. Hier, hier.

Vieillir, c’est souvent recevoir en pleine face qui tu es.

Quand tu es jeune, tu as beaucoup plus de latitude. 

D’abord le temps.

Tu as le temps devant toi. De changer. De trouver une nouvelle voie. De t’améliorer. De faire mieux. Ou pire – ça arrive. Tu as le temps. Tu as  la jeunesse. Celle de la sève dans les branches. Celle qui élimine les doutes et qui te fait avancer comme un bélier.  Celle qui pardonne tout. Quelle ignorance! Que voulez-vous, il est si jeune. Vous avez tellement raison.

Quand tu es jeune, tu as aussi cette flamme en dedans de toi. Cette mèche, dont tu oublies la longueur – que la vieillesse te rappellera plus tard – que tu consumes comme si elle était renouvelable. Tu as l’énergie qui te fait dormir quatre heures et d’être top shape. Les mêmes quatre heures que tu rêves aujourd’hui de dormir d’un coup. Sans pilule.

Quand tu vieillis, t’as plus ça.

En courant, tu réalises que ce tendon est plus récalcitrant, qu’il prend plus de temps à se détendre. En te levant, la courte nuit te suit pendant des jours. Zombie. Même démarche. Même espérance sans espérance. Tes excès te font sentir comme si tu sortais d’un coma de quelques années. L’alcool entre encore plus facilement qu’avant, mais n’a plus l’effet euphorisant. Au contraire. Elle t’amène au fond. Où tu ne veux pas.

Tu vieillis.

Tout ça, on sait ça.

On nous le rappelle souvent. Quand on nous rappelle notre âge. Quand on nous appelle monsieur ou madame. Quand on ajoute le petit ou petite en avant du nom. Comme ajouter l’insulte à l’injure.

Je sais de quoi je parle. La cinquantaine est passée. La soixantaine se pointe.

J’ai pourtant l’impression parfois qu’hier était hier. 

Pas hier, hier. 

Hier, hier. 

Pas loin. 

Hier.

J’écoute de la musique qui ne date pas de six mois. Des livres écrits dans l’année. Des films réalisés pendant l’hiver. Je mange des trucs que je ne connaissais pas y a deux ans. Je voyage en sac à dos. Je travaille encore comme un fou. Je regarde rarement derrière. Oui. Jamais non. Rarement. Comme un scout. Prêt. Toujours. Je mets l’effort. L’énergie. La passion.

Je suis encore surpris de voir ou lire ce que je fais.

C’est moi, ça?

WoW.

Je suis surpris.

Je doute. Full. Encore. Malgré les années. 

Mais.

J’ai encore parfois la candeur de me trouver bon. Ne vous inquietez pas : j’ai aussi une large part où je me trouve pourri. Ça m’arrive aussi. La plupart du temps même. D’ailleurs plus souvent que mes clients. Mais bon. C’est moi par rapport à moi. Et non, moi par rapport à un client. C’est ok. J’assume.

Mais des fois, j’exulte. 

Oui. Oui. J’exulte.

Rien du pilote automatique. J’apprécie la manœuvre manuelle. Celle qui rend le chemin cahoteux.

Pas si pire le petit monsieur.

Pas si pire.

Je n’ai pas toujours pensé ça.

Vieillir m’a déjà pesé.

Souvent.

À m’en fendre l’âme.

Hier. 

Y a plusieurs années.

Il n’y a pas six mois.

Aussi.

Vieillir, c’est souvent recevoir en pleine face qui tu es.

Vieillir, c’est souvent recevoir en pleine face qui tu es, mais de lever le menton en disant à la vie : j’ai connu pire, buddy. Pire. So take your time. Take your fucking time.

Tassez-vous de là. Il se pourrait que je reste.

Don’t beam me up Scotty.

Travailleur de l’ombre

Papa : Ta mère m’a montré la dernière brochure que tu as réalisée… Beau travail! C’est vraiment une job de pro…

Moi : Merci ‘pa…

Papa : C’est toi qui as fait les photos?

Moi : Non.

Papa : Ha… T’as fait les textes?

Moi : Non plus.

Papa : … ce n’est tout de même pas toi qui l’as imprimé, hein?

Moi : Non plus, ‘pa.

Papa : Mais t’as fait quoi?

Moi : Tout. Et rien. C’est plutôt complexe…

Papa : Ho…

C’était il y a longtemps. Dans les dernières années de sa vie, mon père disait qu’il savait un peu plus ce que je faisais comme métier, mais j’ai toujours eu des doutes. Pas que je sous-estimais ses capacités à comprendre, loin de là; mais c’est que même après toutes ces années, j’ai encore de la difficulté à expliquer ce que je fais «vraiment» dans la vie à des gens qui n’en connaissent pas les subtilités.

Comment expliquer à un quidam que la brochure qu’il tient dans sa main, cette brochure même dont tu t’attribues la réalisation ne porte en elle que tes idées ou tes choix. Que le texte a été confié à une rédactrice dont c’est le métier d’écrire, oui, tu l’avais un peu orienté, peut-être même que tu lui avais suggéré un titre, mais le texte portera sa signature. La photo était assurée par un professionnel et son assistant, que même si tu as mis tout ça en place: l’attitude des mannequins, l’éclairage souhaité, le cadrage… oui, oui c’était le nom du photographe qui apparaissait sur la photo. Et pas le mien. Quant à l’imprimeur, je voudrais bien, mais mise part avoir bien préparé le document pour éviter les problèmes techniques, je n’aurai que donné le OK de presse.

Mais t’as fait quoi?

Ben, j’ai participé à tout.

Ho…

En design ou en pub, on travaille souvent dans l’intangible. On soumet des idées, on travaille des lignes, on propose des concepts, mais contrairement à l’exécutant final, qu’il soit illustrateur, graphiste ou photographe, on ne laisse pas vraiment de traces. Dans la liste des reconnaissances, y aura au premier rang, le client pour qui tu as produit une pièce. Son logo est sur la pub. On lui dira, elle est hot ta pub, client.

Demain, on se rappellera du texte de la rédactrice, ce texte, qui lui vaudra sûrement une reconnaissance et du travail supplémentaire. Même chose pour le photographe dont on félicitera la maîtrise et le talent.

Et on se souviendra peut-être un peu de moi.

Peut-être.

Le travailleur de l’ombre.

Celui dont le crédit n’apparaît à nulle part.

J’en parle comme si ça me dérangeait. J’avoue que pas du tout.

Je vois ce que je fais simplement comme un travail.

Pas une œuvre d’art.

Quand je publierai un roman. Mon nom sera sur la couverture. En bold.

Si je vends des toiles, sur les murs d’un salon, d’une galerie ou d’un musée, elles porteront ma signature.

Pour le reste, je fais partie de l’équipe.

Un maillon.

Un liant.

Pour que ça se tienne tout ça.

Hey, Marc, elle est hot ta pub.

Ho merci.

Mais je n’ai pas fait grand-chose.

Faudrait surtout féliciter la rédactrice.

Et le photographe.

Je n’ai pas fait grand-chose.

Juste eu une petite idée.

10 ans.

Tu étais sur ton lit à l’hôpital.

Tu allais en sortir quelques semaines plus tard.

Pour y revenir.

Et ne plus en ressortir.

Du moins, pas vivant.

On était au début février.

Tu t’en souviens, papa?

Je venais t’annoncer que je quittais associé et employés.

Normalement, tu te serais abstenu de parler. De peur de m’influencer et que je me trompe dans ma décision. Pas cette fois. Tu m’as dit, vas-y. Et tu m’as fait un chèque. Tu ne voulais pas que je me finance autrement.

J’ai compris à ce moment-là que tu ferais partie un peu de ce processus. Toi qui n’as jamais eu la possibilité de partir ta propre affaire. Là, dans des tes yeux malades, je lisais de la fierté. C’est toi qui te lançais en affaires. Par procuration.

Ça fait 10 ans de ça.

T’es parti 8 mois après ce moment-là.

Tu n’as même pas vu mon bureau. T’aurais dit que c’est spécial comme déco. Pour ne pas me froisser.

Ça fait maintenant 10 ans que je travaille seul.

Et plus de 25 ans que je ne travaille pas pour un employeur.

Que je signe mon propre chèque de paie.

C’est fou comme le temps passe.

10 ans de Traitdemarc™.

10 ans de ce blogue aussi.

Nés en même temps.

Je pense que tu aurais été fier.

En tout cas, moi je le suis.

En 10 ans, j’ai travaillé avec de grandes entreprises habituées à confier leurs trucs à de grosses boîtes. Pour la plupart, elles sont encore avec moi.

Pas avec une grosse boîte. Moi.

Moi, le gars tout croche, en jeans, les cheveux en bataille, mauvais en présentation, qui parle trop vite et qui escamote les mots. Qui cache sa gêne en parlant beaucoup. Le gars pas très business. Indiscipliné en réunion de production. Qui peut retourner un appel après 4 jours. Qui donne des cheveux gris aux adeptes des tableaux d’échéancier. Frisant constamment le deadline.

C’est moi, ça.

Mais tout autant, le créatif. Qui se creuse le coco. Tout le temps. La nuit, comme le jour. À griffonner. À rejeter les premières idées. À recommencer ce qui aurait pu passer. Parce qu’à moi, ça ne plaisait pas. À être plus critique envers moi-même que ne l’est le client. Parce que ça, c’est indispensable de ce que je présente: jamais un concept auquel je ne crois pas. Une idée faible.

C’est aussi moi, ça.

Le gars qui tisse des liens avec ses clients. Qui deviennent des amis. Avec qui je parle de choses plus importantes que des logos et des Pantone™. Des gens. Pas des entreprises. Des personnes. Avec des soucis. Mais aussi des joies. Qu’on partage. Je ne voudrais pas faire des affaires autrement. En fait, je ne sais pas comment faire autrement. Et bien heureux de ça.

Je suis aussi le gars qui travaille fort. Encore aujourd’hui. Pas de bullshit. Pas de passe-droit. De la sueur de bras. Et de cerveau. Trop? Je ne pense pas que travailler est une maladie. L’équilibre n’est pas seulement dicté par un horaire. La conciliation travail / famille / amour / amis / loisirs, c’est pour moi une zone floue. Je ne crois pas au 9 à 5. Je ne crois pas au modèle traditionnel. Tout tracé d’avance.

Je suis comme ça depuis 10 ans.

Mon père et ma mère vous diraient depuis que je suis tout petit.

Même chose pour les cheveux.

La fin d’une aventure.

La fin d’un projet, ça se passe souvent comme la fin d’une aventure amoureuse.

Pas comme dans la vraie vie, là.

Plutôt comme dans les films d’ado.

Comme dans la chanson Hélène de Rock Voisine.

Tu es consultant, tu débarques passer l’été à Old Orchard et tu rencontres ce super projet sur la plage.

Tu tombes en amour.

Je veux passer ma vie avec toi.

Et à la fin de l’été, comme tu dois repartir, ton amour impossible te revient en pleine face.

Seul sur la plage, les yeux dans l’eau.
Mon rêve était trop beau.

Cette semaine, j’ai appris que le magazine CVS dont j’assumais la direction artistique et la conception depuis sa création, ne sera dorénavant plus publié.

Vous dire que je ne m’y attendais pas serait vous mentir. En fait, je m’y attendais depuis le numéro deux.

Bon, peut-être pas le deux, j’exagère un peu, mais je m’y attendais chaque année.

Parce que la vie d’un magazine est rarement longue.

Parce que je sais que ce genre de projet représente une somme colossale de travail, surtout pour la mini équipe que nous formions, dont personne n’était à temps plein sur le projet.

Parce que l’exigence des horaires de ce projet mettait en péril certains dossiers que j’avais avec d’autres clients ou me privait de participer à d’autres mandats.

Même si ma vie professionnelle a toujours été bâtie sur de longues relations d’affaires – j’ai des clients qui me suivent depuis plus de 20 ans – je sais que nous sommes toujours à rebâtir une relation B2B.

La vie de consultant externe est toujours de vivre sur la corde raide.

Ce n’est pas la première fois qu’un projet se termine ou qu’un client part. Et ça ne sera pas la dernière fois.

Mon domaine d’affaires est comme ça.

La vie aussi, remarquez.

Bref, la fin du CVS marque une étape dans Traitdemarc qui fêtera ses 10 ans, en février. Parce que ce projet aura duré 9 ans, il est indissociable de ma petite histoire.

Ce n’est pas rien.

Je suis triste de terminer un si beau projet, c’est certain.

Ne pas l’être serait de minimiser le plaisir de le réaliser et de travailler avec une équipe extraordinaire. De rencontrer des entrepreneurs allumés, des commerçants travaillants, de sentir qu’on a réussi à faire connaître ceux-ci dans une publication hors-norme, créative et d’une qualité irréprochable.

J’ai des souvenirs plein la tête de moments complètement magiques et de créations rocambolesques.

Je me souviendrai longtemps de toutes ces publicités où de simples commerçants jouaient au mannequin pour la première fois de leur vie dans des concepts complètement flyés.

Je m’en voudrais de ne pas remercier mon ami Paul Cimon, mon vieux pote photographe des 25 dernières années. Notre duo a tenu la route malgré les délais serrés, les prises de bec et les bouchons de productions. Au final, le résultat était toujours positif et créatif.

Je m’en voudrais aussi de ne pas remercier toute l’équipe de Promotion Saguenay pour leur grande confiance dans ce dossier.

On a tendance, à tort, de toujours remercier un client quand on obtient un mandat. C’est à la fin de celui-ci qu’on devrait le remercier.

Parce qu’une relation d’affaires ne se matérialise pas dans un seul mandat. Que la vie est longue et que la fin d’une aventure marque toujours le début d’une autre.

Je voudrais aussi remercier tous les clients qui ont paru dans le magazine. J’ai toujours été un gars de centre-ville, j’y suis même né. Leurs commerces, souvent menés à bout de bras, sont toujours le fruit d’une passion, d’un savoir-faire et d’un travail acharné. J’ai rarement vu travailler du monde autant que ça. Dans des conditions économiques pas toujours faciles.

Je leur lève mon chapeau. Vous êtes notre fibre économique.

Pour la plupart, je ne vous aurai plus comme client, mais vous pourrez toujours compter sur moi, comme client.

L’été qui s’achève tu partiras
À cent mille lieues de moi
Comment oublier ton sourire
Et tellement de souvenirs.

Billets que vous pourriez aimer

Éloge de la paresse.

Toute l’avant-midi, j’étais en réunion de planification stratégique avec un client. On discute.
Autour de la table des jeunes, des moins jeunes et des encore moins jeunes. Vous ne saurez pas où je me situe. No Way.

Qui parle stratégie, parle campagne. Qui parle campagne, parle marchés ciblés. Qui parle marchés ciblés, parle médias différents.

Les plus jeunes arguent qu’il ne faut pas être trop verbeux.

Une image vaut mille mots.

Tant mieux si elle bouge.

Faut surtout pas trop en dire.

Sinon le consommateur décroche.

L’ère des 140 caractères.

Faut surtout pas trop en dire.

Utiliser des mots faciles.

On est tellement bombardé.

Faut comprendre.

On nous sollicite 1000 fois par jour.

Non.

Ça me fait chier tout ça.

Ce côté nivellement par le bas.

Pas trop écrire. Pas trop être compliqué.

Comme on était en brainstorming et que tout était possible, j’ai dit : fuck, racontons de longues histoires. Mettons de la chair autour de l’os. Démarquons-nous par nos textes à n’en plus finir. Devenons les Proust de la publicité.

Il y a un délire pernicieux dans la tendance de vouloir raconter des histoires à tout prix, mais de le faire facile, avec le moins de mots possible. En vidéo. Surtout, évitez la lecture. Eurk. La lecture. LA LECTUUUUUUURE.

Je rêve souvent aux publicités oldstyle, ou le copywriter nous menait une histoire tissée de mots savoureux. Où le body copy de la pub avait 4 paragraphes. Où la pub nous persuadait à coup de mots, d’arguments, de poésies, de rêve.

Pas de stupides hashtags de marde. #Insipides. #Anonymes. #Faciles.

Des mots.

Simplement.

Alignés. Avec des verbes. Des subjonctifs. Des idées.

Traitez-moi de vieux monsieur. De nostalgique. Vous avez le droit. Mais votre délire de vouloir tout réduire pour faciliter nous rend lâches comme des ânes. Quand j’étais gamin, on se moquait de nos amis qui lisaient le doigt sur la ligne de texte. Aujourd’hui : tout le monde balaie du bout de l’index le contenu résumé de leur application Facebook.

On ne lit plus.

On regarde.

On balaie.

On lit 10 mots et on se fait une idée.

Bravo.

Vous êtes bons.

Moi, il y a des jours, après avoir terminé un roman de 500 pages, j’arrive à peine à saisir où l’auteur voulait en venir.

Peut-être qu’il me manque une pièce au cerveau. Que je suis lent.

Nan.

Je vous niaise.

Oubliez ça.

C’est uniquement que les gens sont devenus paresseux.

On veut du tout-cuit-dans-le-bec.

Svp. Résumez-moi.

Facilitez-moi la job.

Je suis occupé.

Tellement.

Telllllleeeeeemmment.

Boulechite.

On-nivelle-par-le-bas.

Les réseaux sociaux nous rabâchent l’éternel « faut être vrai ». On n’aura jamais été aussi faux. Aussi stagé. Regarde comment je suis heureux. Regarde. REGARDE. JE SUIS FULL HEUREUX!!!!!. #heureux. #full. OK. Tu comprends mieux là?

Avec nos posts planifiés sur un calendrier – N’oubliez pas d’écrire 3 fois par semaine / même si vous n’avons rien à dire. Faut suivre le calendrier de notre consultant.

Pas de farce.

Vous ne trouvez pas qu’on a atteint le fond?

Que ça serait plus logique qu’on ait plus de profondeur.

Au lieu de.

Poqué run.

Je suis né à Chicoutimi, sur la rue Petit. Dans un quartier ouvrier de l’époque. Aujourd’hui, on dirait défavorisé. Mes parents n’étaient pas riches, mais on vivait bien. Mieux que plusieurs de nos voisins. Je fréquentais la défunte école St-Philippe, aujourd’hui devenue une coopérative de logements sociaux. Une école bâtie derrière une voie ferrée. Par où nous traversions de manière à gagner du temps quand la cloche sonnait. C’était dans les années 70.

Comme j’habitais le centre-ville, la faune qui gravitait autour de chez nous n’était pas toujours jojo. Les mauvaises fréquentations étaient faciles. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui tenaient le fort. Capables de me ramener à l’ordre quand c’était le temps. C’était pas toujours le cas pour mes amis ou voisins de quartier. C’est là que tu réalises que la ligne est mince entre choisir un chemin droit et un autre qui fait prendre à ton destin, une direction plus difficile.

Plus j’ai avancé dans la vie, plus j’ai eu à faire des choix. J’en ai fait des bons. Des moins bons. Je ne suis jamais tombé dans l’excès. Ou si peu.

Sans avoir un caractère fort, j’ai toujours eu cette indépendance qui m’a permis de ne pas suivre aveuglément les personnes que j’ai croisées dans ma vie. Leurs mauvaises décisions sont rarement devenues les miennes. Les mauvaises, je les prenais par moi-même. Je n’ai pas de mérite plus qu’il faut. J’ai eu la chance d’avoir des parents présents, d’avoir des passions comme le dessin, l’écriture, la lecture et plus tard, le sport. Tout ça m’a permis de m’accrocher dans les moments les plus durs.

Certains n’ont pas cette chance.

Quand tu regardes plus loin que ton nez, tu réalises que beaucoup d’enfants sont déjà des éclopés de la vie, même si celle-ci commence à peine.

Né dans un milieu défavorisé. Parents absents. Avec personne pour les écouter, pour en prendre soin. Problème de consommation d’alcool ou de drogues. Problème de violence. Problème mental.

Né poqué.

Né tout croche avant même que ta vie commence.

C’est fou comment on peut passer à travers la vie sans se rendre compte de tout ça.

En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. On lit les grands titres dans les médias. Quand un jeune fait une fugue ou commet un acte répréhensible, on juge le geste. En oubliant la plupart du temps que c’est une conséquence plutôt qu’une résultante. À un manque d’éducation / d’amour / d’argent. On oublie. Ou on préfère se fermer les yeux. C’est plus facile.

Le 13 mai prochain, je vais courir avec quelques jeunes qui ont déjà eu leur part de problèmes malgré leur jeune âge. Certains qui veulent s’en sortir, d’autres qui ne savent pas comment. D’autres qui ne voient pas la lumière.

J’ai accepté l’invitation de mon ami, Éric Larouche, de devenir ambassadeur de la Course de la Fondation de l’enfance et la jeunesse. On va rencontrer ces jeunes, leur parler, s’entraîner avec eux, financer leurs équipements et faire la course.

J’ai accepté même si je suis blessé, que je suis en convalescence et en retour progressif à la course. Parce que ma blessure est seulement physique. Et que celle de ces kids est plus profonde. Une âme amochée, ce n’est pas un tendon récalcitrant.

On va courir avec cœur. Ça devrait aller.

P.S vous avez du cash et/ou vous êtes coureur? Pourquoi ne pas venir avec moi?

Carte Boni-Bonheur.

Cette année, j’ai décidé de ne pas faire de carte de Noël.

C’est ça. Qui est ça. Décision unanime du PDG. Du-Petit-Des-fois-Gros.

Boom. Une autre tradition qui se perd. Encore.

Depuis mes débuts professionnels, il y a maintenant plus de 25 ans, j’ai toujours envoyé des cartes de Noël à mes clients, à mes amis et ma famille. Pour souligner notre alliance. Pour démontrer ma créativité. Pour vous divertir. Pour vous faire rire. Vous faire réfléchir.

Mais aussi, faut l’avouer, pour nourrir mon ego. Cest vrai.

Est cool ta carte. Est belle ta carte. T’es hot. Full likes.

Vous avez été fins avec moi.

Vous l’êtes encore.

Comme client, vous êtes patients. Vous acceptez que ça prenne du temps. Ce foutu processus créatif. Mais aussi ce trop plein carnet de commandes. Vous êtes compréhensifs, fidèles et importants. Vous le savez peut-être déjà, mais je vous le rappelle.

Comme amis, aussi. Tellement. Ces absences. Ces coups de gueule. Ces divergences. Mais cette fidélité. Cet amour. Cette compréhension. Dans la tempête comme au plus chaud des rayons. Plus fort que tout. Vous vous reconnaissez. Pas besoin de vous nommer. Vous êtes toujours là. Dans le mieux. Dans le pire.

Comme famille aussi. Ces enfants si loin. Mais si proches. Fierté mixée à un amour inconditionnel. Ren. Fred. Mom. Isa. Des racines fortes comme la Terre. Des valeurs plus grandes que les océans du monde. Des moments privilégiés volés à nos vies trop rapides. À rire. À pleurer. À s’aimer.

Ben, à tout ce monde-là. Qui forme mon monde à moi. Ben, y aura pas de carte de Noël, cette année. Niet.

Y aura pas de carte, mais y aura pas rien qui ne se fera non plus.

Chaque année, cette carte me bouffe du temps et me coûte de l’argent. Faut trouver l’idée. Rejeter celles qui sont poches. Affiner la bonne. Recommencer. Réaliser. Imprimer. Envelopper. Timbrer. Tout ça dans une période folle où j’ai de la misère à arrêter le temps.

C’est cool. J’avoue. Mais cette année, on va faire quelque chose d’encore plus cool. Beaucoup plus. Et plus utile. On va utiliser cet argent pour allumer autre chose que nos petits plaisirs perso: on va élargir anonymement notre cercle. On va se faire de nouveaux amis. Mais on n’aura pas le loisir de les connaître.

On investit tout cet argent et on la double dans des dons.

À des gens dans le besoin.

Des organismes.

Des fondations.

Du monde.

Des gens.

Dans le besoin.

All in.

Direct. Indirectement.

Anonymement.

Par nécessité. Par plaisir aussi. Pour faire la différence.

Un peu.

Comme on peut.

On transforme notre carte de Noël en carte Boni-Bonheur.

Des points qui feront la différence. Un peu de bonheur. Et qui sait, changeront peut-être des vies.

Merci de votre participation.

Sans vous, ça ne serait pas possible.

Sans vous, c’est peut-être moi qui recevrais ce don anonyme.

x x x

Je ne t’aime pas, mais ne sais pas pourquoi.

TM-Dummy– Allo Marc, j’ai un projet à te proposer…
– Cool. C’est quoi?
– Vendre tel produit.
– Mmm, je ne suis pas certain être la bonne personne pour en parler… Honnêtement, je ne peux pas dire que j’aime ton produit…
– Justement. C’est ce dont j’ai besoin.

Je me suis dit pourquoi pas, hein? Pourquoi pas.

Vierge. Ou le contraire, full contaminé.

Par mes propres préjugés et ceux des autres. Surtout ceux des autres. Ce qui est encore pire, vous en conviendrez. Allez. Ne me dites pas que ça ne vous arrive jamais. Je ne vous crois pas. Je vous lis sur Facebook. À colporter des trucs sur lesquels vous vous fiez uniquement à l’opinion de vos amis pour prendre position. Si si. Allez. On est entre nous. Vous faites comme ça, vous aussi. Allons. Soyons honnêtes.

Baser ses idéaux sur des idées basses.

Même pas les nôtres.

J’ai accepté ce mandat parce que justement je n’aimais pas le produit que j’avais à vendre. En réalisant rapidement que je le connaissais, avant tout, très peu. Nuance majeure. Ça peut vous sembler louche, mais ça vient (trop) souvent ensemble. Cette peur de l’inconnu qui nous pousse rapidement de l’autre côté. Nos perceptions négatives renchéries par les influenceurs qui nous entourent. On n’aime pas parce que buddy, votre pote avec qui vous avez 103 amis en commun sur Facebook, celui qui a voté comme vous, avec qui vous partagez un avatar de couleur rouge, noir, ou blanc, mais vraiment surtout parce que votre buddy ne l’aime pas.

Bref. J’ai accepté le mandat en me disant que si je ne suis pas leur client type pour un paquet de raisons, plus ou moins logiques, plus ou moins bonnes, avec des perceptions que je partageais avec un paquet de gens qui ne sont pas leurs clients non plus, ben, ça pourrait les aider. Je suis comme ça.

Éthiquement? Ne venez pas me faire de chichi. Je suis en pub. I am annoying by definition. And I know it. And It’s my job to be. Vous mettre des trucs dans la tête. Vous faire aimer des produits. Même ceux que je n’aime pas moi même. Vous faire hésiter. Vous faire changer d’idée. Avec mes arguments. Ma force de persuasion. Ben oui. C’est mon métier. De vous faire tomber en amour. J’exagère à peine. Du moins, j’espère vous matcher. Une petite vite. Vous verrez après si ça va plus loin. Ça vous appartient. Au produit et à vous. Moi, je ne suis que l’entremetteur. Cupidon.

Quand j’y pense, mon client avait raison.

J’étais la meilleure personne pour me convaincre qu’un produit honni était parfait pour moi.

Est-ce absolument indispensable d’aimer le produit pour bien en parler? Non. Il faut le connaître par contre. En chassant toutes nos perceptions injustifiées.

Hey produit, je ne t’aime pas, même si je ne sais pas trop pourquoi. Et si je mettais mes préjugés de côté et qu’on repartait on scratch, toi et moi?

C’est ce que j’ai fait. Je suis devenu le crash test dummy du produit en question. Pour vous.

Goûter. Cracher. Regoûter. Nuancer. Regoûter. Trouver des qualités. En parler. Reconnaître les défauts. Les rendre moins évidents. Chercher les mots pour en parler. Trouver des arguments. Sans bullshiter. Réaliser que rien n’est tout blanc. Ni tout noir. Que j’avais raison! Que j’avais tort!

Est-ce que j’ai réussi? Les ventes le diront.  Dans mon métier, on peut bien se trouver bon, mais c’est le son du tiroir-caisse qui nous dit si nous le sommes ou pas.

Je sais par contre un truc : ma vision du produit en question a carrément changé. Je suis moins campé dans mes positions, moins tranché dans mes opinions. J’ai réalisé que la force de mes préjugés était particulièrement tenace et que je parlais (un peu, pas mal, trop) à travers mon chapeau.

Maintenant, je n’aime pas plus le produit, mais je sais pourquoi.

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