Partir pour partager.

partageÇa fait maintenant dix jours que Salvien a quitté le Cameroun pour venir au Saguenay.

Il a laissé derrière lui sa mère, sa soeur et ses jeunes frères, ainsi que tous ses amis. Même sa fiancée, qu’il fréquentait depuis quatre ans, est restée à Douala, la capitale économique de cette république africaine.

La température de son corps est passée de +30 à -30 degrés Celsius. J’imagine que son coeur aussi.

Vous vous imaginez ce que représente partir de chez vous sans savoir si un jour, vous y remettrez les pieds? Non, vous n’imaginez pas.

Et ce, en laissant derrière vous tous ceux que vous aimez. En laissant derrière vous votre ancienne vie.

Hier, quand Salvien est venu souper à la maison, ses yeux quittaient la table quelques instants. Son corps était avec nous, mais son esprit traversait les océans.

– Tu es fatigué? On parle trop vite avec notre accent du Saguenay-Lac-Saint-Jean?

– Pas du tout. Je vous comprends très bien…

On a parlé de chez eux. On a parlé de chez nous. On a échangé sur nos vies si différentes. Surtout de la sienne.

Depuis son arrivée, tout est nouveau. Le froid, la neige, la bouffe. Cette vitesse auquel nous vivons, cette froideur que certains dégagent, tout est nouveau.

J’ai beaucoup d’estime pour ces immigrants qui laissent leur pays pour venir étudier, habiter, et tenter de se faire une place bien à eux, ici. Leur courage m’émeut. Leur détermination aussi. Mais avant tout, ce sont leur notion de partage qui me fascine le plus. Salvien, comme d’autres que j’ai rencontrés, se sent privilégié d’avoir la possibilité de venir ici. Et du coup, il travaillera fort pour arriver à faire étudier sa soeur, et puis ses frères. Parce que c’est comme ça. Sa mère en lui donnant tout ce qu’elle possédait, a misé sur son fils pour qu’il réussisse à s’accomplir sous de meilleurs cieux, mais il devra aussi passer au suivant. Le partage est ce qui m’a le plus marqué quand j’ai foulé le sol africain. On partage, même si on a peu. Ici, on garde tout, même si on a beaucoup.

Ce schème de la responsabilité, je l’ai senti aussi chez Mike Lee. Ce restaurateur de Jonquière, d’origine chinoise, avec qui j’ai eu le privilège de prendre une couple de verres de saké lors d’une activité sociale. Tout jeune, Mike cousait pour aider sa mère, dans ce petit appartement familial de Montréal. Le maigre salaire qu’elle ramenait à la maison ne lui permettant pas de nourrir ou vêtir la marmaille, alors, le soir elle devait accumuler les petits boulots. C’est le plus vieux, Mike qui, malgré ses 10 ans, aidait maman dans ses journées interminables. Mike a travaillé et travaille encore beaucoup. Pour sa famille. Et sa famille élargie. Parce que c’est ainsi que ça se passe.

Pas d’apitoiement. Pas de lamentation. Du retroussage de manches. Du crachat dans les mains et on capitalise.

Quand je rencontre des Salvien, des Laetitia, des Khady, des Mike, ça me passionne. Ça me sort du quotidien et surtout du laxisme que certains de mes concitoyens dégagent, le nez collé sur leurs petites réalités à gémir sans cesse. Ce sentiment que rien n’est gagné d’avance, qu’il faut travailler pour arriver à ses fins. Qu’il faut faire des sacrifices et ne pas attendre que tout tombe du ciel, par enchantement. Ce sentiment-là je le trouve souvent chez ces gens qui n’ont pas une vie facile, mais qui apprécie chaque moment de celle-ci.

L’obésité nord-américaine ne se vit pas seulement au niveau de la bedaine.

Lève-toi et bouge, dirait mon ami Pierre Lavoie.

Photo @ Dreamstime

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