Sans technique, le talent n’est rien qu’une sale manie*

Si vous voulez m’insulter, dites-moi que j’ai du talent.

Et si vous voulez m’abattre pour de bon, dites-le-moi après une semaine de 80 heures.

Dans tous les métiers où la créativité est au coeur du processus de réalisation, la notion de talent apparaît comme une solution magique. L’équation talent = réussite n’est jamais remise en question. On oublie que derrière ce talent, il y a beaucoup d’heures de travail, de pratique et d’acharnement. Que derrière la figure magnifique d’une athlète de patinage artistique, y a des chutes et des rechutes et des blessures. Inspiration vs transpiration. Le talent, c’est bien, le travail, c’est mieux.

Un talent sans travail, c’est une terre fertile qu’on ne sème pas.

À 10 ans, j’avais un talent fou d’illustrateur que je n’ai pas entretenu; aujourd’hui, je dessine, certes, mais si je me compare à mes vieux potes qui aujourd’hui en ont fait leur métier, je ne suis pas là. Pendant qu’ils passaient des heures à pratiquer, la face collée sur une feuille vierge, moi je perdais mon temps à autres choses, en les regardant me dépasser. Par manque d’ambition? Peut-être. Par paresse? Sûrement. Quand je regarde les réalisations de ces amis, jamais je ne me dis qu’ils avaient plus de talent que moi, j’envie plutôt la hargne et les efforts qu’ils ont dû déployer pour arriver où ils sont aujourd’hui et je n’ai personne à plaindre que moi-même. J’ai encore souvent beaucoup de mal me donner des coups de pied au cul pour avancer. J’ai le côté cigale développé…

Aujourd’hui, je gagne très bien ma vie. Mais pour y arriver, je travaille très fort. Je ne me plains pas. Travailler fort étant relatif, je ne fais rien de physique. Bien qu’à notre époque, on se blesse plus souvent à la tête. À l’intérieur de celle-ci. Les cicatrices sont moins visibles, mais plus dommageables.

Trop souvent, dans les métiers de la création, on place le talent à l’avant-plan. Tout près du concept de l’inspiration.

Haaa, l’inspiration. Si j’avais à choisir le mythe véhiculé le plus récurant dans mon domaine, c’est bien celui de l’inspiration ou de la pensée magique.

Les clients imaginent que nous attendons toute la journée que descende une petite flamme du ciel et que celle-ci nous révèle l’idée recherchée. Padam!

C’est rarement comme ça.

Pour une idée trouvée facilement, vous en avez une vingtaine d’autres qui vous compactent le cerveau autant qu’un jab de Georges St-Pierre. Une idée, ça se travaille. Ça se force. C’est un accouchement; vous me direz que certains prennent peu de temps, mais la grande majorité se font dans les douleurs et des délais de fous.

Prenez ce blogue, vous croyez qu’il s’écrit tout seul? Sur le coup de l’inspiration. J’ai une cinquantaine de textes commencés qui ne seront jamais publiés et lus, des textes cachés sous le radar de Google, des textes qui à moins que j’y mette les efforts nécessaires pour les rendre intéressants, se perdront dans la cache de mon ordinateur. Parce que je n’ai pas le temps d’ajuster ma pensée, de trouver les bons mots.

Le chanteur Nick Cave écrivait que « l’inspiration est un mot utilisé par les gens qui ne font pas grand-chose. Je vais dans mon bureau chaque jour et y travaille. Que cela me tente ou pas. » Je pense comme lui et que c’est comme ça que ce font les choses. Tu as un mandat à livrer, une idée à trouver, force-toi le cul, pis avance. Griffonne, écrit, provoque les choses. Regarder le mur, en espérant que l’idée arrive toute seule c’est attendre la foudre pour se faire un feu. Prends ton silex et gosse une roche. Crée tes propres étincelles.

Parler uniquement de talent pour justifier une idée géniale, c’est diminuer la sueur derrière l’effort. Qu’on a aucun mérite parce qu’on a du talent. Et c’est tout faux.

 

* Le titre vient d’une chanson de Georges Brassens, « Le Mauvais Sujet Repenti », dans laquelle le chanteur donne des trucs à une prostituée. Le parallèle est intéressant pour un gars qui travaille dans la pub…

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