Bonne fête, maman.

minimarc– Va falloir que vous accouchiez ici, madame!

– Pas question!

Ma mère a serré les jambes du mieux qu’elle pouvait. Me privant ainsi d’une sortie plus rapide que prévue.

Je n’allais pas naître dans une ambulance. Ho non. Thérèse était trop fière pour ça. Pas question d’ouvrir les cuisses devant ces deux ambulanciers. On devait se rendre à l’Hôpital de Chicoutimi, coûte que coûte. Aucun compromis possible.

Tu vas attendre ton tour, mon petit bonhomme, accroche-toi, maman veut pas.

Quand le médecin, appelé au milieu de la nuit par mon père, nous a accueillis à l’hôpital, en soulevant sa robe de chambre, il a précipité ma mère en salle d’accouchement. J’allais naître quelques minutes après.

On allait passer Noël ensemble, tous les deux. Papa et Monique fêtaient chez grand-maman avec le reste de la famille, alors que toi, dans ta chambre d’hôpital et moi, à la pouponnière, on allait commencer à se connaître entre deux biberons.

Cette histoire, je t’ai entendu me la raconter à toutes mes fêtes. Une histoire sans fin dont je ne me lasse jamais. Le début d’une belle histoire. Une histoire d’amour.

Il avait dû encore neiger, à l’aube de cette journée de fin d’année. En cet avant-veille de Noël. J’imagine que la rue Petit devait être embourbée sous la neige. Cette petite ruelle, coincée entre la majestueuse Église Christ-Roi et les miteux Entrepôts Joron, à quelques pas du pont Sainte-Anne. Une petite rue quelconque du «Bronx» de Chicoutimi, en plein coeur d’un quartier défavorisé du centre-ville, où le parfum des voitures se mélangeait à celui de la friture du casse-croûte Joachim.

J’arrivais dans ce minuscule logement au coeur de cette minuscule famille où j’allais compléter le quatuor standard des années 60. Deux parents, une petite fille et un petit gars. La fille avec les traits de son père et le garçon avec les traits de sa mère.

Je te ressemble tellement, maman. Et pas seulement du visage.

Nous partageons cette même sensibilité qui nous fait verser une larme facilement,  comme nous partageons tout autant cette force qui nous a permis de passer à travers un paquet d’épreuves. On attribue, à tort, une trop grande émotivité à de la faiblesse. Nous sommes le contraire des durs aux coeurs tendres : notre première couche de sensibilité cache un noyau solide comme le roc qui fait de nous des exemples de résilience capable d’avaler l’impossible. Fragile à l’extérieur. Fort à l’intérieur.

Nous sommes des «toughts», maman. Même si ça paraît pas. Nous, on le sait.

Et de la force, Thérèse, il t’en a fallu une somme considérable quand tu m’as laissé quitter la maison pour la grande ville, alors que j’avais à peine 18 ans. Après avoir déjà perdu un enfant, plusieurs parents auraient agi autrement. Mais toi, tu as réussi à faire abstraction de ta peine et de tes peurs pour me permettre de prendre mon envol. Tu savais que j’étouffais, que j’avais cette soif de liberté à l’intérieur de moi, tu le sentais. Tu m’as laissé la prendre, au lieu de me retenir. Et tu l’a fait même si ça te brisait le coeur. Sans aucun reproche, sans que je me sente coupable de le faire.

En t’oubliant, tu m’as laissé toute la place. Tu m’as laissé me définir tout seul. Tu m’as laissé devenir moi.

Quand, dans d’autres circonstances, j’ai dû, moi aussi, me résilier à me séparer de mes enfants, de faire mon deuil de les perdre, c’est chez toi que je suis allé pleurer. C’est toi qui m’a appris qu’on ne perd pas les gens qu’on aime parce qu’ils ne sont pas présents physiquement avec nous. Qu’on n’a pas à vivre le quotidien et la routine pour avoir des relations solides. Qu’il faut tout simplement être là, au bon moment quand le besoin se fait sentir.

Comme avec toi. Tu as toujours été là.

Tu dois bien te douter que je braille quand je te raconte tout ça. Comme tu dois brailler en me lisant.

Mais nous ne sommes pas que des braillards. Ho que non. Nos fous-rires et cette façon de faire de l’ironie sur les travers de la vie, c’est un truc qu’on a dans le sang, toi et moi. On pleure tout autant qu’on rit. À grands éclats. Parce que la vie, ce n’est jamais tout noir, ni tout à fait blanc. Parce qu’il faut se botter le cul. Qu’il faut l’aimer la vie… « et l’aimer même si le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants » chantait Renaud.

Aujourd’hui j’ai décidé de renouveler une vieille tradition que mon parrain Jean-Roch, ton frère, avait initiée avec votre mère, y a une quarantaine d’années. Celle d’envoyer des fleurs, le jour de son propre anniversaire, à celle à qui il devait la vie. Pour la remercier simplement d’avoir toujours été là. D’avoir fait les sacrifices. D’avoir fait ce qu’il faut.

Aujourd’hui, je suis bien conscient que je te dois ce que je suis devenu.

Ma fête, c’est aussi la tienne.

À Noël, on se retrouvera encore tous les deux, comme y a près de cinquante ans.

Papa et Monique avec grand-maman et quelques membres de la famille, là-haut. Alors que toi, entre deux drinks, tu me raconteras comment j’étais mignon à l’hôpital avec ma couronne de cheveux blonds et ses rires qu’on avait déjà commencé à se partager.

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6 commentaires

  • Ça m’rappelle un sacré accouchement, l’24 décembre également… Juste avant la grande tempête de 99, qui avait fait s’envoler les toits et voler en éclats les vitres de l’hôpital, les premiers jours à l’eau froide, sans médecin ni famille, tous bloqués par Noël et les routes barrées de décombres… Et puis l’départ imminent du grand, déjà indépendant, né 6 ans avant très prématurément alors qu’j’avais à peine dix-huit ans : j’avais voulu vivre ma vie, à ma façon, intensément !
    En y regardant bien : dans l’rétro du passé, dans les yeux du présent, c’est toujours épatant ! Et qu’on a raison… d’laisser nos gènes courir devant !

  • Plus vivante que jamais, M’sieur Gauthier… J’ai l’écriture un peu ankylosée, mais… férocement envie d’l’éveiller ! Au plaisir de vous lire, de vous sentir, de vous écrire !

  • 11 octobre 2015 at 18:47 //

    Marc quel touchant témoignage que tu nous livre comme ta maman vous deux avez une force de vivre hors du commun Bravo à vous deux et que du bonheur cher neveu et belle sœur Vous venez de nous démontrer que on peut rêver et réaliser xxxxx

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