Réflexion.

À plat. Recroquevillé.
L’oeil pourtant ouvert.
Sur le patio, un oiseau immobile.
Pas sur ses pattes. Sur le côté.
La brise le revigorant l’espace d’un clin d’oeil.
Son plumage revivant sous le vent.
J’aurais pu croire que cette petite mésange dormait.
Si ce n’étaient de ces fourmis qui transitaient par son trou de cul.
Je sais.
C’était poétique avant que je vous scrape tout ça.
Mais la mort, ça n’a pas grand-chose de poétique.
Désolé.
J’ai ramassé l’oiseau au grand dam des fourmis. Vérifié son état. Mort. Et l’ai lancé sur la pelouse. Sans sentiment.
Le petit chat blanc des voisins le transportera peut-être sur leur balcon.
Faux triomphe. Faux trophée d’une fausse chasse.
Les félins sont souvent filous.
Quand j’étais jeune, ma mère craignait les oiseaux qui mourraient en se fracassant le crâne sur une vitre.
Annonciateur d’une mort prochaine.
Paroles de vieux.
Superstition.
Je ne suis pas un ornithologue.
Pas même intéressé.
Je trouve les oiseaux bucoliques.
Jusqu’à ce qu’ils chient sur ma voiture.
Encore le cul.
Décidément.
On dit que les oiseaux se trompent rarement dans leur trajectoire, mais quand ça arrive, c’est une question de vision.
Le reflet des vitres.
La réflexion.
Phénomène par lequel des ondes, des particules ou des vibrations se réfléchissent sur un obstacle.
Je fais mon savant, mais c’est tout ce que j’ai retenu de la physique à l’école.
Bête noire du secondaire.
Mauvais.
J’étais incapable de sciences.
C’était l’époque où on avait le droit de couler.
Le droit d’être mauvais.
C’était l’époque où on avait le droit à l’échec.
C’était l’époque des rangs centiles.
Où les notes annoncées à voix haute par le prof commençaient par les meilleures.
Quand, dans une classe de 30 élèves, après la nomination d’une vingtaine, tu n’as pas encore entendu ton nom et ta note, ça n’allait pas bien.
À part la physique, j’ai tout passé mes sciences sur la fesse. Même pas les deux. Une seule.
Et je suis toujours vivant.
C’était l’époque où l’échec était possible.
Mon père et ma mère m’ont dit de me forcer. D’étudier.
Au lieu d’aller pleurer chez le prof.
Pour que je passe.
C’était l’époque où un succès était un succès.
Pas un échec camouflé. Un vrai.
Mais je m’éloigne.
Je voulais seulement vous raconter cet oiseau.
Mort.
À cause de la réflexion.
Et si ce n’était pas de la réflexion de son image sur la fenêtre, mais sa réflexion sur sa vie qui lui aurait dicté son envol final.
Bang.
Mésange déprimée par trop de soleil.
Été interminable de canicule.
Trop de moustiques ou pas assez.
Probablement le résultat de la perte de contrôle des rois de la chaîne alimentaire qui ont bousillé le climat.
Et si c’était simplement ça.
Le constat réfléchi d’un oiseau qui ne voit pas le bonheur plus loin que son bec.
Je ne vois pas le bout du bonheur.
Mon nid vide.
Tiens une vitre.
Bang.
Fini.
Pourquoi pas ?
On pensera à une réflexion.
On ne cherchera pas plus loin.
C’est comme ça que meurent les oiseaux, non?
On n’autopsie pas les mésanges.
Encore moi leurs cerveaux.
Têtes de linotte.
J’en étais à ces réflexions.
Sur la vie des oiseaux.
Sur la mienne.
Celle des autres.
Celle de Jacqueline Jencquel.
Cette Française de 75 ans qui a décidé de mourir avant d’être malade, avant de subir les affres de la vieillesse.
Refuser le déclin.
Refuser que vieillir ce soit beau ou génial pour tout le monde.
C’était un peu le buzz de mon mur Facebook, cette nouvelle.
Cette mort assistée. 
Réfléchie.
Je ne dis pas que c’est bien.
Ni que c’est mal.
Seulement que c’est une belle matière à réflexion.
Encore ce mot.
Qui nous ramène aux grands débats.
Aux grandes questions.
Le droit de mourir.
De décider de ce qui est bien pour soi.
Sans se soucier si ça fait l’unanimité.
Si ça fait plaisir à l’humanité.
Ce qui m’amène à vous parler de ma lecture du moment : Sapiens de Yuval Noah Harari. Et sa brève histoire de l’humanité. Livre qui dormait dans ma bibliothèque depuis trop de mois. Livre fascinant. Sur nous. Sur ce qui nous entoure.
Qui nous ramène à l’essentiel.
Sur notre histoire.
Loin. Loin.
Mais pas tant.
Celle où nous avions la cervelle de ce petit oiseau.
À aujourd’hui. 
Celle où nous avons la cervelle de ce petit oiseau.
Couché sur le patio. 

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Image d’oiseau de lorisworld

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