Le sablier.
Le temps est une matière insaisissable.
Comme le sable sur mes orteils.
Je regarde mon pied, il a pris la forme d’un sablier. Chaque petit coup de vent libère un grain, le faisant rouler et se mêler aux autres. Un à un, ils s’enfuient, me quittent au gré de la brise saline, marquant de leur chute, le temps qui s’en va. Grain de sable anonyme. Vedette instantanée, oubliée tout aussi rapidement.
Mon regard est fixé sur la mer, mais je ne la vois pas.
Mes yeux sont fermés. Je ne dors pas. Je suis simplement perdu dans mes pensées. À prendre conscience du temps qui me file entre les orteils. À réaliser que l’on court après les secondes, sans jamais pouvoir les rattraper. Constamment en manque, nous sommes cold turkey du temps. Dépendant. D’éternels sniffeurs de notre propre ligne du temps.
Dans ma tête, aux rythmes des vagues qui viennent mourir sur la plage, je revois cette année folle qui s’achève. Je prends conscience que le temps file. À toute vitesse. Et que tout particulièrement cette année, j’ai souvent usé l’élastique à sa limite. Le temps est un hypocrite. Il nous donne souvent la fausse impression d’être extensible. Qu’on peut arrondir les coins et allonger les jours. On oublie que cette flexibilité est illusoire et se fait uniquement au détriment de sa propre ligne de vie. Comme du temps emprunté. Une dette à soi-même. Avec la possibilité de faire faillite. Une banqueroute plus dramatique que la simple perte financière. Si le temps, c’est de l’argent, l’argent ne t’accorde pas plus de temps. Une dette qui raccourcit ton terme.
Au loin, un rire d’enfant me fait ouvrir les yeux. Le garçon court dans le sable tentant de semer sa mère à ses trousses. Le contact est joyeux. L’étreinte est amoureuse. La femme fait tourner son enfant sur une chorale de rires partagés. Je vois le sable aux bouts de ses petits doigts de pied, le même sable que j’ai sur les miens. J’ai pourtant l’impression que mes grains tombent plus vite que les siens. Son fou rire réveille des souvenirs. Je pense à mes enfants. À leurs rires. Je pense à ces petits moments de bonheur. Passés, présents et en devenir. Nos enfants vieillissent trop vite, comme nos parents nous quittent trop prématurément. Le temps est un salaud.
Sous mes verres, une larme coule.
Est-ce le sable ou le sel, ou simplement le temps qui enfle ma gorge?
Peut-être parce que mon anniversaire approche. Rien d’angoissant. Une année de plus. Ou de moins. Y a pire que de vieillir. Y a mal vieillir. Le genre d’affirmation que je me dis sans trop y croire. Le temps est un emmerdeur.
Le temps est un train aux horaires imprécises qui te rappelle qu’il faut le prendre quand il passe.
J’ai la nette impression d’être enfin arrêté. Les vacances.
D’avoir mis le film de ma vie sur pause.
Le temps de prendre le temps.
De prendre mon temps.
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