On est toujours d’accord avec soi-même.

Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage.

C’est une de mes expressions préférées. Encore plus depuis le début du conflit étudiant que l’on vit actuellement au Québec. Ce proverbe, c’est l’expression même de sa mauvaise foi. À l’extrême. C’est l’expression de la vérité unique. La sienne.

Elle justifie les travers et les moyens, mais surtout le manque de rigueur intellectuel des belligérants rouges/verts/noirs/blancs/gauches/droites. Name it. Tout le monde est dans le même bateau. Si vous êtes honnêtes et faites une vraie analyse de vos prises de position, vous ne pourrez que constater votre ignorance des points de vue différents du vôtre. Vous n’êtes d’accord qu’avec vous-mêmes. Et les gens comme vous. Avec les autres, pas de quartier.

Que l’on soit d’un camp ou l’autre, de chaque côté, on s’appuie sur des arguments à sens unique. Sans discernement aucun. Comme si la vérité était du fromage que l’on couperait au fil de fer. On s’abreuve aux mêmes sources d’informations que ses partenaires, celles dans lesquelles on se complait le plus, balayant du revers de la main les notions qu’on se refuse d’admettre. Celles de nos opposants. One-way. Sur Facebook ou Twitter, on se partage à qui mieux mieux des commentaires complaisants, sans vérifications. On partage les théories farfelues, du moment qu’elles consolident nos appuis. On est toujours d’accord avec soi-même. Et il est beaucoup plus facile d’être d’accord avec soi-même. La malhonnêteté intellectuelle n’existe jamais quand elle vient de soi.

On en vient à tracer une ligne indélébile (plutôt débile) entre le bien et le mal. Les gentils et les méchants. Ceux qui m’appuient/que j’appuie contre ceux que je renie/qui me renient. Ma vérité devenant la seule à suivre. Les gens qui ne sont pas d’accord colportant le mensonge. Bang! le chien. Out. Casse-toi. Tu pues. Ta couleur m’écoeure.

On fait ça depuis des lunes, vous me direz. Depuis que le monde est monde, on prend position sur des sujets divers. Certes. Mais les médias sociaux ont porté ces prises de position banales à un niveau obsessif, à un niveau de propagande. Caricaturant nos opposants, béatifiant nos partenaires. Comme si la vérité n’avait qu’une issue. Qu’elle n’était qu’un bloc immuable.

C’est déprimant. Effrayant. Et j’avoue, par-dessus tout, trouver le climat difficile à vivre.

Quand je vous vois mettre une balle dans votre fusil et viser votre chien que vous accusez d’avoir la rage, je ne peux que regarder ce dernier. Analyser ses yeux tristes. Vérifier cette gueule pleine de dents en me demandant si vos arguments en valent la peine. Si votre chien mérite toute cette hargne. Ce fiel.

Même si je ne suis jamais sûr de rien. Que je doute. Que je sois un sceptique. J’ai aussi un chien. Un chien que je suis quelquefois prêt à abattre, moi aussi, pour des raisons qui me sont tellement justifiées, que je réussirais à vous en convaincre, j’en suis certain.

Mais j’espère le contraire.

J’aimerais mieux que vous me disiez que je suis dans l’erreur. Que ce chien mérite mieux. Que vos idées valent autant que les miennes.

Dites-moi surtout que je devrais être d’accord avec vous, ne serait-ce que cette fois…

2 commentaires

  • 10 mai 2012 at 23:10 //

    Le même sentiment ou malaise m’habite, avec (peut-être) la seule nuance qu’il faut bien nommer les choses, par moment… J’ai en horreur la démagogie, tout ambidextre qu’elle soit… J’ai aussi l’étrange sensation que peu importe ce que je lis -et je lis les justifications de pas mal tout le monde, avec cet état d’esprit que tu décris- bref, j’ai l’étrange sensation qu’il se passe dans le monde un jeu de passe-passe, assez dévastateur qui se nourrit de notre apathie, au-dessus de nos têtes, un ordre établi qui fonctionne seulement parce qu’il est cautionné par notre silence collectif et qu’il se nourrit de notre insécurité. Le mot JUSTE me semble déclencher bien des maux. Dont les miens. Je suis une volontaire. Une travaillante. Je ne suis pas pour le tout gratuit et la paresse. J’espère faire de mes enfants autre chose que des enfants ROIS; j’espère qu’ils seront porteurs de ce monde, conscients qu’ils auront vécu l’une des plus belles révolutions qui soit, l’ère technologique où le monde est ici, maintenant (ne vit-on pas à une époque formidable?). Je suis pour l’équité, mais encore faut-il s’entendre sur ce qui est équitable. La forme est discutable, mais sur le fond, quand on essaie de se faire une tête (je vais garder le JE), je me dis que ça ne tourne pas rond… Que ça ne peut pas être ça la vraie patente : je m’en tire bien, donc tout va bien, que les autres s’arrangent.

    Je vais continuer de travailler, de m’impliquer, de payer mon dû. Assez longtemps j’imagine puisque j’ai perdu beaucoup en 2008 et que je n’ai pas de sécurité d’emploi. Je suis même prête à payer davantage, si on me démontre que ça arrangera les choses. Rien n’est moins certain à voir les Grecs en ce moment. Bref, spectateur, acteur, contestataire, que faire, comment se positionner, pourquoi, de quelle façon? Je ne sais pas. Mais je sens que ça tourne carré. Rouge, vert, blanc, jaune. Ça tourne carré.

    P.S. La dernière revue dans ma boîte aux lettres était vraiment rafraîchissante. Vous avez dû avoir beaucoup de plaisir à la concevoir… Continue de créer, ça te réussit plus que bien. 

  • Merci pour ton commentaire Anne-Lise.
    Tu as raison quand tu dis qu’il nommer les choses par moment. Mais il y a une façon de le faire. Et depuis ce conflit, la rigueur intellectuelle a foutu le camp. De par et d’autres, le débat est devenu irrationnel et émotionnel et la démagogie a pris toute la place.
    On n’analyse plus les propos des gens, on les juge eux-mêmes.
    J’ai des amis avec des idées différentes aux miennes. Pendant certains soupers, on aime bien lever le ton (…et le coude) pour exprimer nos points de vue différents, mais nous ne tombons jamais dans la digression en nous attaquant à la personne. Nous restons au niveau des idées.
    Je pense que tout débat est utile, qu’il faut frotter ses idéaux à ceux des autres, mais de façon honnête.
    Comme tu viens si bien de le faire…

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