Chroniques indonésiennes #1
On devait rouler depuis plus d’une heure.
Le vent qui fouettait mon visage.
Le soleil sur mes genoux.
Le décor vert. À perte de vue.
Mon sarong rose qui flottait comme un drapeau sur mes cuisses.
Rose is good for you. Oui, oui. J’imagine.
L’odeur des rizières. Celle de l’essence. Et celle de l’Indonésie.
Inconnue à mes narines y’a moins de trois jours.
Et c’est à ce moment précis, comme un déclic, que j’ai croisé dans le rétroviseur du motobike de Ada, mon gros sourire. Celui de l’ivresse. Celui qui ne pense à rien. Bêta.
Je suis arrivé. Je suis là. Ou plutôt ici.
Je suis ici depuis dimanche, mais j’arrive à peine.
Je me suis promené dans Ubud, mais j’étais un automate.
Désarticulé.
Mange Pis Dors.
Et puis il y a eu la route, les paysages qui se fondent, cette végétation luxuriante gorgée d’eau que cette saison des pluies nous apporte sans crier gare. Cette pluie qui nous a surprise, au retour. Rouler dans l’averse. Rouler dans l’eau. À transpercer nos impers jusque dans nos os. Cette pluie qui rend les touristes plus frileux à visiter le pays dans cette période.
Tant mieux.
Parce que moi, j’y suis.
Ubud (2)
Hier, j’ai peut-être un peu exagéré ma scène d’orage. Je pensais avoir été mouillé. En fait, j’aurais dû parler d’une légère bruine. Une ondée.
Aujourd’hui, mais AUJOURD’HUI, c’était le déluge, LE DÉLUGE !!!
Le commandant Ada Cousteau et son assistant, le pas très futé Gilligan Gauthier, ont flotté pendant deux longues heures sur des routes sinueuses à bord du vénérable motobike rose. Version balinaise du Yellow Submarine.
Est-ce que l’eau venait d’en haut ou dans bas? Difficile à dire.
Je n’y voyais rien.
Nada.
J’ai ouvert les yeux, pour y voir encore moins. Alors, je les ai refermés.
En le voyant dépasser tout ce qui bougeait sur notre passage, j’ai pensé demander à Ada si, lui, il voyait la route, mais je me suis dit que je devais éviter de l’embêter avec mes questions impertinentes. Après tout, c’était lui le chauffeur. Gilligan devrait connaître son rang.
Au bouiboui, où l’on a décidé d’arrêter histoire de voir si la pluie ferait pareil, j’ai croisé deux touristes françaises. Je leur ai dit que chez nous, on dirait qu’il mouille en tabarnac. L’une d’elles m’a répondu que chez eux, on dirait : il pleut comme une vache qui pisse. Well. J’imagine. Un peu.
On en a profité pour manger des trucs pas bons épicés. C’est parfait comme ça. Si ce n’est pas bon, faut que ça soit épicé. Sinon ça goûte le pas bon. Avec un bock de thé tiède sucré.
J’ai roulé le reste du chemin, la bouche ouverte.
Bref, depuis le début de mon voyage, je m’hydrate assez bien.
Tellement qu’aujourd’hui, j’ai même eu droit à un lavement.
Ubud (3)
Hier, j’ai arpenté une dernière fois les rizières d’Ubud. Vous dire le plaisir de m’y retrouver serait un euphémisme. L’odeur des champs. Le son des canaux qui distribuent l’eau. Les paysans qui y travaillent. Si fort. Comme en Colombie, cet été, quand j’ai réalisé que chaque grain de café qu’on boit avait été cueilli à la main, il en est de même pour le riz. Une job tought. Les paysans. Pour la plupart des femmes. Accroupis. Les genoux dans l’eau. Bouffés par les moustiques. Pour le touriste que je suis, la vision bucolique des champs verts bouscule la réalité que ces gens doivent vivre quotidiennement. De la même manière qu’on jouit du prix d’un t-shirt acheté récemment qui dépend du labeur de travailleurs sous-payés dans une usine du Bangladesh. Je ne fais pas de moral : je suis, moi-même, un hyper consommateur. Je parle plutôt de l’image que certaines situations, vécues ici comme ailleurs, projettent par rapport à leurs réalités. Un clash. Une fissure. On trouve ça beau, mais pour d’autres, ça l’est pas mal moins.
Je quitte Ubud, ce matin pour le nord de l’île de Bali. Amed. Un tout petit village de pêcheurs. J’ai beaucoup aimé Ubud. J’en avais pourtant une grande crainte : le mange-prie-aime, les bobos, les granos; ils tous là, mais la ville est plus que ça. Quand Ada m’a demandé ce que j’avais le plus aimé depuis mon arrivée, quel temple, lieu, etc. Je lui ai répondu : les gens.
Je sais. Je suis un cruiseur.
Munduk
Je venais à peine de m’assoir et commander une bière quand le smog s’est abattu sur Munduk. Un épais nuage opaque a tout fait disparaître sur son passage. Mon univers s’arrêtait à peine de l’autre côté de la rue. Signe annonciateur d’un orage à venir.
La bière est arrivée. La pluie aussi.
Content d’être à l’abri.
Ici, les orages sont sévères. Et sournois.
Aujourd’hui, j’ai tout de même été chanceux. J’ai été épargné par l’eau. J’arrivais tout juste d’une randonnée de quatre heures, dans les chemins sinueux du village. À monter. Descendre. Parmi les champs et les rizières. À répondre allo quand on me disait allo. À des enfants et des petits vieux. Les autres étaient occupés à travailler.
Dans un de ses sentiers, je suis tombé sur un chien avec une gueule à avoir le goût de manger du gras. J’ai continué à avancer, tentant si bien que mal de l’ignorer. Ses aboiements n’ont pris qu’un instant pour alerter deux autres clébards, sortis de nulle part. Alors que j’avais le trio cabot dans les pattes, voilà que deux autres se sont joints à la danse. Tous à aboyer à qui mieux mieux. Ça commençait à être beaucoup moins drôle. Surtout que le meneur n’était pas mal en salive et agressif. Je suis arrivé près d’une maison et un paysan m’aperçut avec mon quintette aux talons. Il me tendit un bout de bois en me mimant de frapper les chiens. J’ai fait signe que non. Il a insisté. J’ai pris la perche et fouetté le premier chien, le plus fort en gueule. Il a figé et est parti à courir, apportant avec lui, dans son sillon ses quatre compagnons dans un silence le plus complet. Le paysan a ri. Moi, j’étais plutôt surpris. Je lui ai redonné son bâton et continué ma route. Comme dans la vraie vie, tu attaques le bully, pis les petits suiveux déguerpissent.
Mais, je m’éloigne. Je parlais de la pluie.
De la terrasse couverte, d’où je sirotais ma bière, j’observais les gens sous la pluie.
Ces deux jeunes filles avec leur mère, brouette et pelles en main, à faire des voyages de sable trempé qu’elles apportaient aux maçons, en bas de la côte. Cette femme avec son panier sur sa tête et sa bêche à la main qui s’en allait bosser je ne sais où. Ce couple sur un motorbike, arrêté un moment, le temps de se couvrir machinalement d’un imper pour deux. Ce cultivateur, la serpe à la main, retournant aux champs.
J’étais le seul couvert. Et pourtant, j’étais le seul qui semblait sentir la pluie. Comme si la pluie ne les atteignait pas. Qu’ils étaient imperméables.
C’est étrange, cette relation qu’on peut avoir avec le climat. Alors que certains semblent le subir, d’autres l’apprivoisent. À s’en ficher. À ne plus le sentir.
J’ai commandé un thé au gingembre. Le temps que la pluie cesse.
Mais elle n’a jamais cessé.
J’ai payé ma facture. J’ai sorti l’imper de mon sac. Et je suis parti dans les torrents.
Les deux jeunes filles à la brouette m’ont dit allo. J’ai dit allo.
Pas à l’eau.
Moi aussi, je m’en viens pas pire avec la pluie.
Amed
Dogs And Gods.
Les chiens de Bali.
Ils sont partout sur l’île des Dieux.
On en croise dans les rues.
Au détour d’un arbre, dans un trek, en pleine jungle.
Dans les temples.
J’en ai même vu un pisser dans un resto.
Bali est envahie par les chiens.
Errants. Répugnants. Malins. Parfois coquins, mais rarement.
Avec larme à l’œil.
Avec l’arme à l’œil.
Sur la route, certains nous grondent dessus.
En motorbike, d’autres veulent nous mordre les talons.
Dans les chemins, ils sortent les crocs.
Moi, qui aime les chiens, j’ose à peine imaginer quelqu’un pour qui c’est la phobie.
Un contraste avec ses habitants souriants.
Comme si au partage des sentiments, on aurait attribué celui de la haine, aux chiens.
Avec tous ces cabots errants, Bali a un problème connu de rage. Ce que le pays a tenté d’éradiquer par des exécutions massives, dénoncées par les associations de défenses des animaux d’un peu partout dans le monde.
Ce qui est surprenant, c’est qu’avec autant de chiens, c’est l’absence… de crottes. Chez nous, chiens en laisse et petits sacs en main, on croise quand même un tas à chaque coin de rue. Pas ici. T’as pas mal plus de chances de mettre le pied dans un petit panier d’offrandes aux Dieux, déposées sur le trottoir, en face de chaque maison / commerce, chaque jour.
J’imagine que les Dieux s’en chargent.
Bromo
Je devais avoir moins de 10 ans quand j’ai gagné un concours de dessin organisé par le Journal de Québec. Comme prix, une bande dessinée au titre bizarre : Le Cosmoschtroumpf. Je ne connaissais pas encore ces drôles de personnages tout bleus. Dans le livre, un des schtroumpfs rêvait de devenir astronaute; le Grand Schtroumpf, pour le contenter, monta une grande mascarade dans laquelle il faisait croire à l’apprenti pilote qu’il avait atterri sur la lune alors qu’il l’avait simplement amené, grâce à un subtil subterfuge à l’intérieur d’un volcan éteint.
Dans les quatre derniers jours, j’étais le Cosmoschtroumpf.
J’ai aussi visité la lune.
Deux fois plutôt qu’une.
Le Kawah Ijen et le Bromo.
Des paysages abrupts. Une odeur âcre de soufre. Des montées difficiles, voire dangereuses pour le Kawah Ijen en tout cas. Impressionnant. Vraiment. Ça valait les levés du corps à 1h du matin, pour voir les levers du soleil, ça valait aussi les kilomètres de montées pas toujours faciles. Ça valait les kilomètres de route et les gîtes pour dormir plus ou moins intéressants. Comme une image vaut mille mots, en voici 6000.
Yogyakarta
Je n’allais pas chroniquer sans vous parler des gens.
Parce que c’est là l’essence même du voyage.
Oubliez les volcans, les temples et les rizières.
C’est beau tout ça, même magnifique, mais Google vous le montre beaucoup mieux que moi. Et vous dire comment c’est encore plus beau en vrai.
Tu voyages seul?
Ça doit être plate / difficile / dangereux / mettez le mot qui vous fait le plus peur. Parce que dans le fond, ce sont vos propres appréhensions que vous me projetiez.
Je ne voyage pas seul.
Y a plein de monde autour de moi.
Des gens qui habitent les quartiers où je débarque.
Les autres voyageurs de partout dans le monde.
Où que vous soyez en Asie, c’est fou le nombre de passeports différents que j’ai eu à croiser. Des Polonais, des Russes, des Italiens, des Indiens, des Français, des Autrichiens, des Hollandais et j’en passe. Faites tourner un globe et placez votre doigt au hasard, je vous jure que je l’ai croisé. Ou son voisin.
Voyager seul, c’est aussi voyager avec soi-même.
Oui, oui ça fait mystique. Mais c’est fort vrai.
Vous êtes-vous déjà entendu respirer?
Vous êtes-vous déjà demandé : au fond kossé que je veux?
Quand tu voyages seul. C’est ça.
Tu t’entends penser.
Tu te parles. Et tu te réponds.
Tu fais un voyage, dans le voyage.
Un voyage intérieur.
Et je peux vous dire, par expérience, que partout y a des contrées pas mal moins hostiles que soi-même.
Voyager seul, tu vois le monde par tes yeux.
Avec tes préjugés. Tes peurs. Mais tout autant, ton sourire et ton bonheur. Dans le fond, le monde te donne ce que tu lui donnes. Simplement.
Les gens de Yogyakarta qui ont si aimablement accepté d’immortaliser leurs visages sur ma lentille, l’ont fait par goût, défi, plaisir ou simplement parce qu’ils venaient de me demander la même chose. Immortaliser mon passage chez eux.
J’ai eu un coup de cœur total pour la petite dame qui tient un mini dépanneur à l’entrée de la ruelle où j’ai passé dix fois par jour. Matin, midi, soir. Hier, en fin de journée, je lui ai demandé de poser pour moi. Elle s’est assise, a placé ses cheveux et remonté son menton. Fière. J’ai tout de suite vu ses mains. Des mains pleines de vie. Et je n’ai pris qu’une seule photo. Cette dame m’a ému.
Je n’allais pas chroniquer sans vous parler des gens.
Parce que c’est là l’essence même du voyage.
Oubliez les volcans, les temples et les rizières.
Si je n’avais qu’à garder qu’une photo de Java, ça serait celle-là.
Parce que les autres photos n’auraient aucune valeur si ce pays n’était pas habité. Si ces personnes n’en faisaient pas partie.
Joyeux Noël et paix sur terre aux hommes et aux femmes de bonne volonté.
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