La connerie, on peut en mourir.
Dans un récent billet, Patrick Lagacé, journaliste et blogueur à La Presse, proposait une réflexion sur le Car Surfing, ce téméraire jeu (!) qui consiste à s’agripper au toit d’une voiture et de tenter d’y rester pendant qu’elle roule. Un jeu insignifiant, certes, qui a coûté la vie de Kevin Ducharme. En lisant une histoire d’horreur de la sorte, ce qui étonne est toujours le manque de jugement que l’on attribue aux acteurs d’une telle sinistre mise en scène. À quoi pense un individu, ou à quoi il ne pense pas devrait-on se questionner, quand il commet un geste aussi intrépide et stupide que celui-là. Avouez qu’on a le jugement rapide. On traite de morons assez rapidement, les protagonistes d’un tel geste. On se dit que faire une chose pareille est impossible sans être sous l’effet d’une drogue quelconque. Impossible de faire un tel acte débile quand on est sain d’esprit. Impossible. Nos conclusions sont drastiques. Et puis, tout à coup, une petite voix intérieure tousse. Retousse. Un toussotement pour nous rappeler que pour juger une personne sur un acte comme celui-ci, il faut peut-être se regarder un peu plus profondément avant d’émettre des conclusions. Si on n’a pas déjà, nous aussi, fait une stupidité de la sorte. Ma petite voix intérieure ne s’est pas dérhumée pour rien. Fin des années 80. Alors étudiant à Montréal, à peine majeur, j’ai fait une connerie du même genre que Kevin Ducharme, mais la mienne sans les mêmes conséquences. En sortant du métro, j’avais remarqué que certains jeunes s’accrochaient aux portes extérieures de celui-ci, déposant leur pied sur le mini porche afin de rouler, comme sur un skateboard, quelques mètres et de débarquer par la suite. Je trouvais ça cool. Je sais que c’était con de trouver ça cool, mais à 19 ans, c’est difficile de faire la part des choses. Un soir que je sors du métro avec des amis, dans mon cerveau deux fils se sont touchés : moi aussi, je serai un adepte du métro surfin. Sans penser une seule minute aux conséquences, je m’accroche, les bras en pleine extension au cadre de la porte, puis, place mes deux pieds un en avant de l’autre afin d’épouser la petite plateforme et de m’offir une assise confortable. Le métro prend rapidement de la vitesse. Plus que je ne le pensais. Alors que la plupart des jeunes observés auraient déjà lâché leur monture mécanique, je reste crampé sur la mienne. La peur? L’inconscience? Je ne saurais dire. J’ai déjà roulé la moitié de la station. La vitesse de croisière du métro a cessé d’augmenter et a atteint celle de croisière : très rapide. J’entends mes amis sur le quai. Ils sont estomaqués. Ils n’ont jamais eu le temps de me dire que j’étais con de faire un truc pareil. Ils doivent aussi se demander s’ils seront capables de me le dire. Dans ma tête de linotte, la petite boule qui me sert de cerveau comprend enfin qu’elle doit faire réagir des membres qui semblent paralysés par la peur. Dans ma tête, à une vitesse plus grande que celle du métro, les choix ne sont pas légions : 1) je me cramponne et tente de tenir le coup jusqu’à la prochaine station avec tout ce que cela comporte : perte de pied et glissade, rétrécissement de la rame empêchant mon corps de passer, barrière à l’entrée de la prochaine station provoquant un dédoublement de mon corps… 2) Sauter du train en marche, avec les conséquences que ce geste propose : glissement entre la rame et le wagon, mauvais calcul des distances me séparant du mur final ou finalement frapper un passant qui attend le prochain train. J’ai peur. C’est à ce moment même que tu te rends compte de l’absurdité d’un tel geste. Je suis à jeun. Sans drogue ni alcool. Uniquement de l’adrénaline de moron dans les veines. Je regarde la céramique du plancher et la surface est opaque, à la vitesse ou je vais le sol est solide, je ne distingue plus les carreaux et plus ou moins la hauteur. Je lâche prise en tentant de courir afin de rattraper la vitesse du métro. Sur une photo-finish, on pourrait croire que je me prends pour un personnage de bande dessinée qui court dans le vide. Au premier contact du sol, j’ai effectué un vol plané d’un bon 3 mètres. J’ai atterri sur le ventre, comme un surfer qui tombe de sa planche. Mon genou est en sang, mon coude aussi. Mes écouteurs sont toujours sur ma tête. Et je tremble. Et je ris. Mais je ris jaune. Comme mon Walkman Sony qui gît à quelques mètres de moi, inerte. Je suis toujours vivant. Mes amis accourent, non pas pour me féliciter, mais pour me dire que je suis un con. Mais un con vivant. Ce fût la fin d’une carrière naissante de gestes stupides. Je n’ai plus jamais joué aux matadors. Les rêves que j’ai eus, à la suite de ce périple, se sont avérés des cauchemars avec des conclusions pas mal plus dramatiques que celle à laquelle j’ai eu droit. Pendant plusieurs années, j’ai raconté cette anecdote, en riant. Plus maintenant. J’aime à dire que je suis un vieux con, mais j’ai déjà été aussi un jeune con. La connerie a ça de bon. Ça évolue.
Martin Larose
7 juillet 2009 at 15:30 //
Y’a une différence entre être con et faire le con…
…on fait tous les cons à moment ou l’autre de notre vie, surtout à l’adolescence lorsque le futur est si abstrait et si loin.
Mais les vrais cons sont ceux qui ne survivent pas à leurs conneries pour réaliser qu’ils ont fait les cons…et paraître pour un vieux con auprès de ses propres enfants lorsqu’on leur dit de ne pas faire les cons…
🙂