Feu.

pitchVous entrez dans la pièce. On vous attendait. On vous a d’ailleurs réservé la place du milieu, juste en avant, devant tout le monde : le « hot spot ». Il y a peu de chance d’y trouver une chaise. Si oui, elle sera normalement peu confortable et plus basse que celles des gens qui vous font face. C’est psychologique. Il fait normalement froid dans la pièce. Mais ce n’est qu’une illusion, vous êtes le seul à avoir froid. Les gens qui vous regardent vous installer font seulement semblant d’être de glace : c’est normal, c’est leur rôle d’être comme ça. Ce n’est surtout pas le temps pour eux de montrer des sentiments, de montrer un signe de sympathie. Vous vous préparez tranquillement, placez vos documents devant vous et en distribuez à vos protagonistes. Avant même d’en juger le contenu, vous sentez leurs yeux sur vous, c’est présentement le messager qui les intrigue et non le message. Il ne faut surtout pas que vous vous laissiez impressionner par ces regards, ne pas vous laisser distraire, sinon cela pourrait tourner au cauchemar. Mais c’est plus fort que vous. Vous avez déjà les yeux qui se promènent sur chacune des personnes, vous êtes en train de les analyser un par un. Vous êtes tranquillement en train de mettre ces gens dans des cases. Vous leur attribuez déjà des personnalités, vous imaginez une hiérarchie. Même si c’est la pire chose à faire présentement, c’est plus fort que vous. Pire que les idées que vous vous mettez dans la tête, vous allez imaginer maintenant ce qu’il pense de vous, avant même de vous avoir entendu. Parmi toutes les personnes présentes, une seule est différente : son sourire, sa compassion la distingue totalement. C’est le lien entre vous et les autres. Cette personne fait les présentations d’usage. Elle en profite même pour brosser un portrait assez élogieux de votre personne, de votre travail. Sous le regard impassible du reste du groupe, bien sûr. Ça y est, c’est à votre tour. Vous pensez que ce serait normalement le temps de vous lever, mais vous êtes déjà debout. Alors, vous commencez. Vous êtes dans votre zone de confort, ce n’est pas votre première présentation, et votre introduction n’est pas nouvelle, vous avez déjà eu le temps de la peaufiner avec le temps. Le regard sommaire que vous posez sur l’audience vous donne raison : tout baigne! Alors, vous décidez de passer à l’étape deux. Vous plongez. C’est ici que les regards de vos spectateurs commenceront à changer : certains s’éclaireront, d’autres, par contre, s’éteindront. Vous sentez par contre qu’il y peu ou pas de gens avec cette deuxième réaction. C’est cool. Vous êtes tranquillement en train d’avoir moins froid, mais c’est encore un feeling, c’est uniquement le courant qui passe : votre présence semble appréciée. Vous respirez mieux. Même si les seules réactions que vous avez décelées sont pure intuition et spéculation. La période de questions commence. C’est la fin du monologue. Et du discours maîtrisé. Vous tombez dans une zone non contrôlée. Les premières questions sont faciles, le message a bien passé. On vous a trouvé peu de failles. Jusqu’à ce que, de nulle part, arrive cette question qui n’en a pas tout à fait la forme, puisqu’elle ne possède pas une forme interrogative : c’est un piège. On vous tend un piège. Et vous tombez presque dedans, tellement votre réaction n’est pas directe.  On vous a déstabilisé. Vous devez improviser au plus vite, ramener le discours, ce n’est pas le temps de flancher. Garder la ligne. Ne pas rougir. Ne surtout pas être sur la défensive. Garder la ligne. Mais cette petite faille, rien de majeur, ce minuscule détail, que personne n’aurait pu remarquer est en train de bouleverser votre présentation. Du moins, nuire à la pertinence de votre discours. Et vous savez que ce n’est pas tant ce détail, mais bien la façon dont vous réagissez qui vous cale. Mais il est déjà trop tard pour la balayer du revers de la main, cette réaction doit se faire dans les secondes après la question. Votre réaction tardive ne fait que donner du mordant au problème. Vous réussissez bien que mal à revenir, avec effort, à reprendre le contrôle de la situation. Vous savez que vous avez perdu quelques plumes, mais dans l’ensemble les dommages semblent minimes. La personne qui vous a tendu le piège semble assez fière d’elle. Elle a eu avantage sur vous. Vous lui en voulez, mais cela fait partie du jeu. Et de toute façon, vous n’avez que vous à blâmer, ou du moins votre réaction. Les questions sont terminées. La présentation aussi. Cela s’est bien passé, du moins c’est ce que vous pensez, ou ce que vous voulez croire. En diminuant l’impact de votre dérapage. Après avoir salué tout le monde, en quittant la pièce, le doute subsiste, vous angoisse. Mais c’est trop tard. Ce n’est plus à vous de jouer. En tout cas, plus en direct. Uniquement ce que vous aurez laissé comme impression. Des mots. Des images. Une personnalité. Un feeling. Des perceptions. Et un simple petit détail dont vous n’êtes pas encore capable de mesurer l’impact.

4 commentaires

  • Le jelly bean que je suis était hyper mauvais en expression orale. Je suis sûrement l’orateur le plus nul de toute l’histoire du Séminaire de Chicoutimi (on parle ici d’une école centenaire!!!). Le seul avantage de vieillir (désolé, je n’en ai pas trouvé d’autres avantages (!) étant donné que je ne suis pas encore assez vieux pour avoir des rabais dans les pharmacies), c’est justement de mieux maîtriser l’art oratoire. Combiné avec l’expérience, ainsi que de ne plus avoir à jouer de rôle, et de pouvoir dire au monde entier « what you see is what you get ! » (J’ai mis un peu d’anglais dans ma réplique pour me faire mieux comprendre de mes compatriotes français). Maintenant, ironiquement, j’adore les pitchs ou les présentations. J’adore être le chien dans le jeu de quilles. J’adore être le seul présentateur en jeans, sans complet ni cravate, les cheveux coiffés comme ils (les cheveux) le désirent. Je ne vends pas des habits ni des coupes de cheveux, je vends des idées…

  • Fire… works ?

    Entrée en scène. Poids du silence. Odeur de soufre de l’attente. Arène en plomb palpé de ceux-qui-doutent-déjà…
    Ancrage au sol. Seuil de l’instant. S’absenter là, de toute sa présence, et revenir, vite, au vu, au grill, mais à l’insu de tous. Puiser force et voltige dans ces orteils-racines d’une conviction que je vais feindre.
    Mieux peindre cet on n’sait quoi à la force du vivre, à l’accord de sa voix. De la brume en surface, l’or est de soi ! A la lisière, trouver l’élan. Se faire vecteur du fond auquel je crois, bon sang, auquel je crois !
    Dans toute forme il y a, au fond, ce sens fécond tant égal à elle-même, fausse-fille des normes, énorme foutoir où tout est dit… Danse à corps-fou. Humour zombie. Trame… ahurie !
    Aveu rebelle en peau d’issue : et si, pourtant, d’air et d’esprit, tout restait à écrire ?

    La flamme, coco ! Perds pas le feu-du-coeur-des-mots !

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