Pas hier. Hier, hier.

Vieillir, c’est souvent recevoir en pleine face qui tu es.

Quand tu es jeune, tu as beaucoup plus de latitude. 

D’abord le temps.

Tu as le temps devant toi. De changer. De trouver une nouvelle voie. De t’améliorer. De faire mieux. Ou pire – ça arrive. Tu as le temps. Tu as  la jeunesse. Celle de la sève dans les branches. Celle qui élimine les doutes et qui te fait avancer comme un bélier.  Celle qui pardonne tout. Quelle ignorance! Que voulez-vous, il est si jeune. Vous avez tellement raison.

Quand tu es jeune, tu as aussi cette flamme en dedans de toi. Cette mèche, dont tu oublies la longueur – que la vieillesse te rappellera plus tard – que tu consumes comme si elle était renouvelable. Tu as l’énergie qui te fait dormir quatre heures et d’être top shape. Les mêmes quatre heures que tu rêves aujourd’hui de dormir d’un coup. Sans pilule.

Quand tu vieillis, t’as plus ça.

En courant, tu réalises que ce tendon est plus récalcitrant, qu’il prend plus de temps à se détendre. En te levant, la courte nuit te suit pendant des jours. Zombie. Même démarche. Même espérance sans espérance. Tes excès te font sentir comme si tu sortais d’un coma de quelques années. L’alcool entre encore plus facilement qu’avant, mais n’a plus l’effet euphorisant. Au contraire. Elle t’amène au fond. Où tu ne veux pas.

Tu vieillis.

Tout ça, on sait ça.

On nous le rappelle souvent. Quand on nous rappelle notre âge. Quand on nous appelle monsieur ou madame. Quand on ajoute le petit ou petite en avant du nom. Comme ajouter l’insulte à l’injure.

Je sais de quoi je parle. La cinquantaine est passée. La soixantaine se pointe.

J’ai pourtant l’impression parfois qu’hier était hier. 

Pas hier, hier. 

Hier, hier. 

Pas loin. 

Hier.

J’écoute de la musique qui ne date pas de six mois. Des livres écrits dans l’année. Des films réalisés pendant l’hiver. Je mange des trucs que je ne connaissais pas y a deux ans. Je voyage en sac à dos. Je travaille encore comme un fou. Je regarde rarement derrière. Oui. Jamais non. Rarement. Comme un scout. Prêt. Toujours. Je mets l’effort. L’énergie. La passion.

Je suis encore surpris de voir ou lire ce que je fais.

C’est moi, ça?

WoW.

Je suis surpris.

Je doute. Full. Encore. Malgré les années. 

Mais.

J’ai encore parfois la candeur de me trouver bon. Ne vous inquietez pas : j’ai aussi une large part où je me trouve pourri. Ça m’arrive aussi. La plupart du temps même. D’ailleurs plus souvent que mes clients. Mais bon. C’est moi par rapport à moi. Et non, moi par rapport à un client. C’est ok. J’assume.

Mais des fois, j’exulte. 

Oui. Oui. J’exulte.

Rien du pilote automatique. J’apprécie la manœuvre manuelle. Celle qui rend le chemin cahoteux.

Pas si pire le petit monsieur.

Pas si pire.

Je n’ai pas toujours pensé ça.

Vieillir m’a déjà pesé.

Souvent.

À m’en fendre l’âme.

Hier. 

Y a plusieurs années.

Il n’y a pas six mois.

Aussi.

Vieillir, c’est souvent recevoir en pleine face qui tu es.

Vieillir, c’est souvent recevoir en pleine face qui tu es, mais de lever le menton en disant à la vie : j’ai connu pire, buddy. Pire. So take your time. Take your fucking time.

Tassez-vous de là. Il se pourrait que je reste.

Don’t beam me up Scotty.

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