S.O.S Clown

Je n’avais mis les pieds dans un CHSLD depuis un bon bout de temps. J’attendais dans l’entrée principale. Ils sont apparus aussitôt que les portes de l’ascenseur se sont ouvertes. S’ils n’avaient pas exagérés leur démarche en se dirigeant vers moi, avec leur sarrau blanc ils auraient pu passer pour du personnel de santé traditionnel. Sans leur nez bien sûr. Ce nez rouge spongieux si caractéristique du clown. Dr Rubber et Dr Monde Dentier de SOS Clown allaient me permettre de voir de près leur travail.
J’avoue avoir été un peu intimidé au départ. J’étais figé, tentant de me rendre invisible pour ne pas nuire à leurs interventions. Doucement, j’allais comme ces petits vieux, tomber sous le charme de ces deux clowns, déguisés en docteurs…
Dans le corridor du premier étage, des personnes âgées assises discutaient entre elles, certaines dans des chaises roulantes, d’autres sur des triporteurs. Une madame atteinte de Parkinson s’agita à notre arrivée; difficile de déceler parmi ses mouvements, ceux qui étaient voulus et ceux provoqués par la maladie. C’était l’entrée en scène de mes deux intervenants. On allait visiter une douzaine de personnes; moi, toujours en retrait comme observateur, tentant de me faire le plus petit possible.

« Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres…»
À genoux, Dr Rubber caressa la main de Gisèle en prenant de ses nouvelles. Assise dans la salle de séjour, elle discutait avec sa nièce avant que les deux clowns apparaissent. Elle parlait de ce voyage à New York, des ces immeubles impressionnants qu’elle avait vus, des rues débordantes de monde. Quand on lui a demandé si elle voulait qu’on lui entonne une chanson, elle a souri telle une petite fille timide tout en acquiesçant. La chanson de Lucienne Boyer « Parlez-moi d’amour… » tombait à point. Lentement, les yeux pétillants de Gisèle se sont mis en vie sous la voix des deux docteurs au nez rouge. La musique, ça réveille des souvenirs. Dans ses yeux embués défilaient des images. Lesquelles? On ne saura jamais, mais la plénitude qui se dégageait de son visage annonçait que ses pensées en étaient des belles. Si belle et si frêle, Gisèle avec ses cheveux si bien coiffés, ses vêtements savamment assortis a voyagé pendant les quelques minutes qu’a duré la chanson, visitant son passé, revoyant au passage les personnes importantes de sa vie. Pendant tout ce temps, sa nièce les yeux dans l’eau, voyait s’illuminer le visage de sa tante. Pour elle aussi, ces quelques minutes d’allégresse sous les voix pas toujours justes de nos deux clowns ont fait le plus grand bien, constatant que Gisèle vivait un petit moment de bonheur.

Brigitte qui rajeunit sous nos yeux
Quand on est entré dans la chambre de Brigitte, c’est comme si le soleil était tout à coup apparu en pleine nuit. Sur sa chaise roulette, elle a tapé des mains et crié à quel point elle était contente de nous voir ! Embrassant tour à tour mes deux acolytes, elle m’a remarqué, appuyée en retrait sur le cadre de la porte. Elle m’a demandé de venir la voir, moi aussi j’aurais droit au beau gros bec mouillé… Fière de nous annoncer ses 98 ans, cette belle dame aux cheveux longs blancs était empressée de nous montrer la photo de son beau Raymond dans ce cadre doré près de son lit. Brigitte était un canon dans son temps, les photos d’époque le prouvent un peu partout dans sa chambre. Elle en avait beaucoup à dire. Trop contente d’avoir de la visite, elle nous a fait sortir les chocolats des grandes occasions. Ça sentait le bonheur dans la chambre. Sur son babillard, les photos de sa fille dont elle est si fière, ses garçons, ses petits enfants. Quand il a fallu quitter, après une dernière tournée de becs baveux, elle nous a suivis dans le corridor en riant pour nous dire qu’elle s’était trompé : elle n’avait pas 98, mais 92 ans. J’ai tout de suite pensé que c’était un effet secondaire de notre visite, ce rajeunissement subit.

Florence dans la brume
On m’avait averti avant d’entrer dans cette chambre que j’allais swinger de la patte. Florence joue de la musique, tape du pied et apprend même des chansons à nos clowns. Dr Rubber, a cogné doucement sur la porte pour s’annoncer. Florence était là, avec une des ses filles. Assise sur sa chaise roulante, elle n’était pas comme on me l’avait décrite. Les yeux brumeux, le regard absent, la bouche triste, le dos courbé, Florence ne passaient vraisemblablement pas une belle journée. Sa fille, la voix nouée, nous l’a confirmé : sa mère était méconnaissable. Presque aveugle, elle a tout de même balbutié quelques mots incompréhensibles quand elle a entendu les premières paroles de Dr Monde Dentier. La visite allait s’achever sous les baisers de nos deux intervenants quand une étincelle a mis feu dans le cerveau de Florence. Le bruit de la bombarde jouée par un des clowns est entré dans l’oreille de celle-ci pour embraser son cerveau. Ses pieds se sont mis à bouger lentement, mais avec rythme, ses mains peu à peu ont suivi. Elle n’était pas en forme, mais y avait une énergie qui se dégageait maintenant d’elle. Mes clowns venaient encore une fois de réveiller du coma une patiente. Comme par magie. Avec de la tendresse, de la musique et leur bonne humeur. Une autre prescription de bonheur.

Dans le lit de Monique
Quand mes deux clowns sont entrés dans la chambre de Monique, elle était couchée dans son lit. Alors qu’ils voulaient quitter pour ne pas la déranger, elle leur a demandé de rester, de s’assoir près d’elle et de la coller. Comme une petite fille qui manquait d’amour. Elle leur racontera cette histoire passée au Lac-Saint-Jean quand elle avait rencontré ces Américains venus pêcher. Cette histoire qu’ils avaient dû entendre des centaines de fois, la même qu’à chacune de leur visite. Monique était enjouée et répétait à qui mieux mieux qu’elle était si contente de recevoir de la visite. Elle a pourtant des enfants dans la région. Mais ils sont tellement occupés. Tellement qu’ils n’ont pas le temps de la visiter. Cette visite de mes deux comparses allait la contenter jusqu’à la prochaine. J’ai eu une pensée immédiate pour Laurette, ma grand-mère maternelle chouchoutée par sa famille jusqu’à ses dernières heures et j’ai eu un pincement pour Monique et ses enfants trop occupés qui ont troqué leurs responsabilités de présence contre leur propre petit bonheur. D’où l’importance plus que primordiale du travail des clowns que j’accompagnais, sans qui Monique serait encore plus seule.

À la fin de nos visites, dans le local qu’on leur accorde au CHSLD, quand ils ont enlevé leurs nez, j’ai pu voir le vrai visage de mes deux amis. Deux beaux petits gars dans la vingtaine qui, chaque semaine, viennent donner de l’espoir, infuser de la vie dans le coeur de ces vieux, mais surtout les envelopper d’amour. Ils sont une dizaine à faire ça. L’organisme s’appelle S.O.S Clown et j’ai décidé de participer à leur levée de fonds annuels. Je solliciterai, encore une fois, votre générosité, en vous expliquant un peu plus tard comment. D’ici là, prenez soin de vos parents et grands-parents.

N.B — Par souci d’anonymat, vous comprendrez que les noms ont été changés…

7 commentaires

  • Vraiment tu est vraiment quelqun de bien continue a nous faire frémir de bonheur a te lire…merci….

  • Je reconnais encore ta grande générosité et quel plaisir de lire ton texte. J’ai eu l’impression, pendant ces quelques lignes, de voir aussi le bonheur apporté par les deux clowns.

  • Merci pour ce beau témoignage et je le valide, car ma mère est dans un CHSLD et reçoit aussi la visite de SOS Clowns et à chacune de leur visite il y a ce petit « quelque chose » qui la fait rebondir et la rend heureuse.

    Merci d’ëtre là pour eux et pour nous,

  • Marc, j’aimerais contribuer et avec grand plaisir. Je serai de retour au Québec autour du 23 avril. Comme il n’est jamais trop tard pour faire un don… Je te ferai parvenir un chèque à ton adresse sur Racine.
    Henriette

  • 28 mars 2011 at 11:29 //

    Tu as un reél talent d’écrivain, Marc. Tes textes sont toujours très vivants. Cest un plaisir de te lire. S.O.S. sont chanceux de t’avoir comme propagandiste. Je fais ma contribution ajourd’hui.
    Un salut à ta conjointe et à ceux et celles qui t’aiment

    Robert

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