L’enfer c’est rarement les autres.

Sartre affirmait dans sa pièce Huis Clos que « l’enfer c’est les autres ». Le monde en général a tendance à lui donner raison, préférant laisser à autrui la raison de leurs soucis. À défaut de faire de l’introspection et de reconnaître ses torts, l’humain a la mauvaise manie de jeter le blâme sur n’importe qui sinon qu’à lui-même. Comme un gamin qui se défend à la moindre incartade, on préfère nier l’évidence et accuser à tort le monde entier de ses échecs. Ce n’est pas moi qui a fait ça, mais ce sont les circonstances qui ont produit ce résultat. Je suis la victime des événements. Je ne suis pas responsable. Aveugle de ses propres agissements, l’humain a l’accusation facile quand vient le temps de se défendre. L’attaque étant la meilleure défensive. Il serait faux d’affirmer que nous vivons dans un cercle aseptisé et complètement imperméable aux influences d’autrui. Nous sommes sollicités et influencés par les autres, comme nous les sollicitons et les influençons. C’est donnant donnant. Il y va de même pour les responsabilités.
Les entreprises, étant administrées par des humains, ont tendance à partager les mêmes imperfections que ceux-ci. Ainsi, peu d’entre elles reconnaissent leurs torts quand leur arrive un événement désagréable. À un client dont la commande est en retard, on jette le blâme sur les transports. À un faible retour sur un investissement, on accuse les marchés. On blâme la température, la récession, les grandes surfaces, les magasins en ligne. La compétition devient l’ennemi numéro 1. La source de tous les problèmes. Si ça ne va pas dans notre sphère d’activité, c’est que les concurrents n’agissent pas avec respect en brisant les lois (non écrites) du marché, qu’ils nous copient ou qu’ils aient accès à des avantages dont ils sont les seuls à bénéficier. L’enfer c’est les autres. Jamais nous. Maudite compétition.
C’est plus facile d’accuser les autres que de provoquer une auto-évaluation et de jouer son propre destin. Personne n’aime être pris en défaut. Personne n’aime se rendre compte que c’est lui le coupable. Nier sa responsabilité et dénigrer est plus simple. Reconnaître ses torts n’est pas un exercice agréable. Se diagnostiquer comme étant l’unique responsable, ou du moins en partie, d’une mauvaise situation prend une certaine dose de courage et de modestie. Pourtant, n’est-ce pas ce à quoi l’on s’attend d’une personne proche en qui a fait confiance? Un ami qui affirme s’être trompé en rapport avec une situation déplaisante vécue reçoit normalement un meilleur accueil qu’un autre qui déclare n’avoir rien à se rapprocher. Faute avouée, à moitié pardonnée. Même chose en affaires. Quand une multinationale comme BP, en rapport à son déversement monstre de pétrole dans l’océan, ment que tout est sous contrôle et que tout va pour le mieux dans le colmatage de la brèche, il agit comme un élève qui cache sa fronde dans son dos devant une vitre cassée. S’il garantit, au contraire, faire l’impossible sans pouvoir être en mesure de savoir quand et comment il va y arriver; il agit en personne (ou en entreprise) responsable préférant la difficile vérité au mensonge facile.
Comme humain ou entreprise, chaque geste posé amène son lot de conséquences. Heureuses ou malheureuses. Si nous sommes tributaires des bons coups que nous réussissons au cours de notre vie, il faut avoir l’humilité de reconnaître ses moins bons. La perfection n’existe pas. Quoiqu’en pensent certains.
À croire que le pire ennemi qu’une entreprise peut avoir pourrait s’avérer être lui-même. À défaut de s’en prendre vainement à ses concurrents, si elle décidait de s’attaquer à ses propres démons, une entreprise n’y gagnerait-elle pas? N’est-il pas plus facile de s’améliorer que de demander aux autres de se dégrader? Au lieu de se raconter des histoires et se faire croire que les autres sont l’unique responsable de ses malheurs, il faut se regarder dans la face et revoir ses stratégies. S’améliorer n’est pas la meilleure arme pour se défendre de la compétition, de se démarquer de celle-ci de réussir?
Dans ma vie professionnelle, j’ai rencontré plusieurs compagnies qui au lieu de jeter leur dévolu sur la concurrence comme responsable de leur difficulté à percer le marché, se sont réinventées à la suite d’auto-diagnostics sévères. Même si ce n’était pas toujours facile. Laisser l’enfer… aux autres, comme ça il vous restera une marge pour atteindre le paradis.

> Jean-Paul Sartre par l’illustrateur David Levine

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