1985.

Maman n’a pas pleuré.
Elle était à peine visible, les mains sur le cadre de porte.
Un visage difficle à déchiffrer .
La lèvre souriante, mais chevrotante.
Pars.
Vas-y.
Fais ce que tu as à faire.
Ce que tu as à vivre.
Papa devait être à son établi, au sous-sol, dans la remise ou dans le jardin.
Une place où il pouvait vivre, à sa façon, ce départ.
J’ai embarqué mon sac à dos et une boîte en carton qui contenait quelques trucs utiles.
Une minuscule boîte.
On nous avait contraints au strict nécessaire.
Mon ami Yohan et moi déménagions à Montréal.
Sur le banc arrière d’une vieille Pinto.
Avant le Amigo express, y avait les copains qui ne nous demandaient rien pour nous voyager.

J’avais 19 ans.
Les poumons impatients de respirer.
L’air de la liberté.
De devenir moi.

Dans la cabine téléphonique où j’ai glissé des vingt-cinq sous, j’ai fermé la porte-accordéon pour pouvoir discuter tranquille, pour m’isoler du vacarme de la rue Joliette.

– Allo?
– C’est moi.
– Ha, tu es à Montréal?
– Oui, on est là. Tout est ok!
– Super, si tu as besoin…
Pour continuer votre conservation, ajouter des sous (genre)
– Maman, tu es toujours là?
– Oui.
– Tout va bien. Bye!
– Super, bye mon coeur.

J’imagine, j’extrapole, je n’ai pas de souvenir des mots, seulement de la situation. J’ai uniquement l’impression de sentiments intenses.

À ce moment là, je sais que j’avais seulement le goût de pleurer.
L’appartement était un désastre.
Un trou.
Sous-loué.
D’une connaissance d’une connaissance.
Malpropre.
L’appart.
La connaissance d’une connaissance aussi.
Un appart de junkie.

On est restés quelques jours et on s’est poussés.
La vie sans cellulaire avait des avantages.
Le propriétaire n’avait aucune idée de qui on était, mon coloc et moi.
Pas de traces.
On est déménagés dans le quartier St-Henri.
En métro.
En sous-estimant ce qu’était ce quartier à l’époque.
En 1985.
Pauvre.
Tought.
Criminalisé.
Mais n’étions-nous pas aussi des rebelles?
À notre façon.
De bonnes familles, certes, mais pas de familles fortunées.
Avec de bonnes valeurs.
Ça se transmet ça.
Cet ADN.
Ce gène populaire.
Celui qui dicte d’où tu viens.
Nous étions des étudiants sans malices.
On avait les cheveux dans les airs.
Habillés dans les fripes.
Bref, on est passés inaperçus.
On s’est tout de suite fait à ce quartier.
On est devenus rapidement des gars de la place.
Le dépanneur vietnamien sous le logement, la buanderie avec ses Écho-Vedettes, le Métro près du métro.
On a adoré le quartier.
De vrais ambassadeurs.
On y a d’ailleurs amené tous nos amis de Chicoutimi.
Sur les sept logements que contenait ce bloc, on en a déjà occupé jusqu’à quatre.
En se promenant, se séparant, se rassemblant, en communiant.

Nous n’étions pas des anges.
Des démons à temps partiel.
De bon gars et de bonnes filles en devenir.
Des kids exceptionnels.

J’ai des souvenirs impérissables de cette époque.
Cette époque m’a construit.
A fait qui je suis devenu aujourd’hui.
A fait passer la chenille en papillon.

J’étais enveloppé dans un cocon empoisonné d’une tristesse insoluble et suis arrivé à vivre dans une joie semi-consommée.

À vivre une vie à moi.

À moi.

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1 Commentaire

  • 29 mars 2020 at 9:22 //

    Encore une belle tranche de vie que tu nous partages! Merci.

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