Dany.

J’avoue que ce n’est pas son talent que j’ai apprécié en premier. Sa beauté peut-être. Celle de la jeunesse. Grand blond avec une couette. Il me faisait penser à moi. En plus beau. En plus grand. J’avais la couette. La couleur des cheveux. Pas la beauté. Ni la jeunesse.

Ses illustrations étaient magnifiques. Un artiste avec un talent fou. Un trait de crayon sans hésitation. Un humour et une intelligence qui se démarquaient. En agence, pour le jeune directeur artistique que j’étais, le Klondike et une menace. À la fois. Capable de réaliser tes idées encore mieux que tu ne les as pensés toi-même. Capable de te faire mal paraître au niveau technique. Je l’ai engagé tout de suite. Le talent, tu ne passes pas à côté de ça. Fuck le reste.

Le gars s’est avéré un compagnon de travail incroyable. On partageait le même humour. Des idées rocambolesques. Une connexion formidable. Et puis la récession est arrivée. Les mises à pied. Lui, pas moi. Le départ pour Québec. On s’est quitté. Moi, avec ma job pesante, obligatoire, puisque j’assumais le seul revenu familial; lui, avec son talent, cette jeunesse et cette jungle professionnelle qui l’attendait.

J’ai envié sa mise à pied. En jalousant plutôt sa vie. Sa jeunesse. En plaçant sur la balance, cette vie professionnelle que j’aurais voulu plus enivrante et cette vie familiale arrivée trop rapidement. 

J’aurais voulu être celui pour qui tout était possible. Pas celui pour qui tout était déjà tracé. Je n’étais pas si vieux. Je l’ai réalisé par la suite, mais je n’étais pas encore au niveau de ces idées-là.

Je ne l’ai jamais revu.

Si. 

Je l’ai croisé.

Comme j’étais un habitué du terminus d’autobus  – réalité de parents séparés en villes éloignées – je l’ai vu sortir du bus de Québec alors que j’avais le cœur brisé d’entrer mes enfants dans le même bus, avec dans leurs mains un sous-marin Subway et leurs valises. 

Salut. Salut.

C’est tout.

J’étais dans la salle bain quand j’ai entendu frapper à la porte de mon bureau.

En pleines vacances de la construction. Une douzaine d’appels. Pas plus. Sept, pour moi. Les autres, c’est un running gag : tous ces appels pour des gens qui ne sont pas moi. Pas plus de courriels. Alors que dire d’entendre cogner à sa porte. Probabilité nulle. Un client (peu probable). Un ami (peu probable avant 17h). Un itinérant (ils préfèrent les marches). 

Je suis entré dans mon bureau et je suis tombé sur lui.

L’ai reconnu tout de suite.

Pas la jeunesse. Moi non plus. 

Mais le sourire. Ce corps long et flexible capable de raconter des conneries et de les mimer en même temps. Il n’avait pas changé d’un iotas.

Je l’ai pris dans mes bras comme si je le connaissais depuis des années. Moi, qui ne l’avais jamais pris dans mes bras.

On a jasé voyage, vie, etc. Un condensé d’une heure. On a ri. Comme avant. Comme il y’a près de 25 ans.

J’ai eu l’impression que c’était hier. Ce grand veau plein de talent et moi, ce gars entré dans une vie qu’il ne désirait pas tant que ça.

On a parlé Grèce, Pérou, Indonésie, Maroc.

On a parlé de villes qu’on n’avait, ni lui ni moi, eu même l’idée de visiter à l’époque.

La vie est parfois une autoroute, un boulevard, un chemin de terre ou une ruelle, où, tous les jours, nous croisons des gens par affaires, par hasard, par ci, par là. Et puis, un jour de canicule, où la sueur te coule dans le dos, où la poussière s’accumule sur ton bureau, il est débarqué.

– T’as pas changé.

– Toi, non plus.

C’était une belle rencontre, Dany.

Vraiment. 

Reviens me voir.

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