La Magie de Noël.

Quand on a nommé son nom, il s’est levé d’un seul bond, excité comme un enfant. C’était à son tour de recevoir son présent. Je lui ai tendu mon bras pour le diriger. Pas facile de se mouvoir dans une foule bruyante, dans un endroit méconnu quand tu es non-voyant. On s’est dirigé vers le Père Noël de service qui distribuait les cadeaux près de l’arbre décoré pour l’activité. Quand il a touché le paquet, j’ai pu voir une petite lueur dans ses yeux inertes. La magie des Fêtes ça existe, je pense; du moins à ce moment précis, j’en étais certain. Avec son sourire figé, son présent sous le bras, ma main sur son épaule, on s’est dirigé tranquillement se rassoir pour le déballer dans un endroit un peu plus tranquille. Ses doigts lissaient le papier. Pas trop pressé de l’ouvrir. Savourant chaque seconde ce petit bonheur, me demandant des détails, comme la couleur du papier, du ruban et du chou. Glissant sa main sous une des pointes du papier, il décolla doucement l’emballage comme s’il ne voulait pas le déchirer. J’avais l’impression d’être un voyeur. J’observais ces faits et gestes, ses manies en sachant très bien qu’il ne pouvait pas le deviner. Ses yeux morts bougeaient, intrigué par les détails qu’il s’imaginait. Quand la boîte fut déshabillée de sa robe de papier, il m’adressa un sourire en me disant : « qu’est-ce qui peut bien se cacher dans ce paquet?… ». J’avais devant moi, un grand gaillard de 60 ans aveugle, mais je voyais un petit gamin, un enfant émerveillé. Quand il ouvrit la boîte, il n’a pas pu remarquer la tragédie sur mon visage à la vue de son cadeau. Au milieu du papier de soie, au fond de l’emballage était déposé un cadre avec une reproduction d’un peintre impressionniste. Un cadre. Une peinture. Pour un aveugle. Je ne savais pas quoi dire. J’étais bouche bée. Les cadeaux avaient été distribués en fonction des sexes, sans penser que certains d’entre eux pourraient être inappropriés. Pourtant, mon ami, le cadeau sur ses genoux n’avait rien perdu de sa bonne humeur. La lueur dans ses yeux n’avait rien perdu de sa brillance. Son cadre dans les mains, il me demanda doucement de lui décrire la peinture qu’il contenait. J’étais sans mots. J’avais le motton. Je voulais être ailleurs. Mais j’ai décrit le paysage, en prenant soin de parler de la couleur de l’herbe, du contraste du ciel, des coups de pinceau qui composaient la scène. Je ravalais mes larmes à chaque qualificatif. Et lui, sans se douter de mon état, prenait grand soin de construire la scène dans sa tête. J’avais même l’impression qu’il suivait ma description en regardant le cadre et effleurant la vitre. « C’est beau… » Beau. Il me disait qu’il trouvait ça beau. Qu’il était content. J’aurais voulu être ailleurs. À mille kilomètres de lui. Et en même temps, j’aurais voulu être encore plus près de lui. Le serrer dans mes bras.

Dans une seconde vie, j’ai travaillé comme graphiste à la Maison de La Presse et j’avais décidé de participer à leur activité-bénéfice annuelle de Noël. Cette année-là, on était au Centre William Price à Kénogami, avec des gens seuls, malades, en perte d’autonomie. Pour une petite journée, on leur faisait vivre un peu de bonheur; le temps de faire un réveillon, de manger et de donner des cadeaux. Alors que je pensais que c’est moi qui leur apporterais quelque chose, je me suis vite rendu compte que ce sont plutôt eux qui allaient me chavirer. J’ai vu dans ces petits vieux, la misère certes, mais le bonheur aussi. Un bonheur qui se résumait à si peu. À un petit moment magique. Indélébile. Quand je suis entré chez moi ce soir-là, j’ai chialé toutes les larmes de mon corps. J’étais crevé, oui, mais j’étais bouleversé. je revoyais mon ami d’un après-midi regarder ce cadre qu’il ne voyait pas, en l’admirant, en le voyant. Et moi, dans mes larmes, j’ai vu aussi l’intangible. La petite flamme qui scintille dans chacun de nous. Cette petite flamme qui a souvent juste besoin d’un petit souffle pour revivre. Comme par magie.

Joyeux Noël à vous tous.

Billets que vous pourriez aimer

6 commentaires

  • Ton commentaire m’a mis les larmes aux yeux.

    Il m’a aussi rappelé un copain non voyant que j’ai eu le plaisir d’avoir pendant quelques années dans ma vie.

    Une année, à son anniversaire, sa soeur lui a offert une affiche du ballet Casse-Noisette. Ballet qu’il avait été écouter et aussi voir, à travers les yeux d’une amie, auparavant.

    J’ai eu le même réflexe initial que toi et lui ai demandé s’il était déçu de son cadeau. Il m’a assuré du contraire. Il m’a dit l’avoir collé à un mur de sa chambre et qu’à l’occasion, lorsqu’il passait tout près, il s’arrêtait quelques secondes pour effleurer l’affiche. Ce geste lui remémorait une chanson ou une image du ballet qu’il avait dans la tête.

    Il m’avait aussi expliqué qu’il accrochait des peintures et affiches sur ses murs. Lorsqu’il avait des visiteurs il leur demandait de lui décrire une des images. Cela lui permettait non seulement de la voir sous un jour nouveau mais aussi d’apprendre à mieux connaître son visiteur.

    Je te souhaite une excellente année 2011 et un voyage sécuritaire et inoubliable.

Laisser un commentaire