L’effet Velveeta.

Cet après-midi je faisais remarquer à ma copine qu’une telle personne avait changé d’attitude du tout au tout vis-à-vis moi. Il n’était pas devenu soudainement un grand ami, mais il m’apparaissait beaucoup plus sympathique et agréable que par le passé. Ma conclusion était simple : il avait changé. Pour le mieux. Après tant d’années, il avait enfin compris que son comportement n’était pas le plus cordial et qu’un changement s’imposait; ce qu’il avait fait en apportant des améliorations majeures à sa personnalité. J’en étais persuadé; jusqu’à ce que ma blonde me manifeste bêtement un scepticisme sur ce constat simpliste en me balançant : « … et si c’était toi qui avais changé? »
Ouin. Vu de même. J’avoue que je n’avais pas pensé à cette alternative. Je me suis mis à me rappeler certains épisodes de ma relation avec cet individu et mes arguments prouvant qu’il ait changé se sont effrités lentement pour laisser place à une auto-évaluation quelque peu sévère. Dans ma conclusion tardive, j’avais omis combien l’on est trop souvent d’accord avec soi-même. Tellement, que l’on oublie que les autres évoluent en satellite autour de notre nombril. Que contrairement à ce que l’on pense la faute d’une situation négative n’est pas toujours attribuable à autrui, mais bien au contraire, à soi-même. Que ce que l’on perçoit comme changement chez les autres n’est peut-être inconsciemment qu’un réaiguillage de nos perceptions personnelles qui ont évoluées. J’appelle ça l’effet Velveeta.
Quand j’étais enfant, je raffolais de ce fromage orange enveloppé dans un papier ciré et déposé dans une boîte de carton jaune. J’habitais avec mes parents, l’appartement au-dessus de chez mes grands-parents et je descendais souvent déjeuner chez eux. Mon grand-père mangeait de ce fromage-là tous les matins. Il nous préparait des rôties de pain cuit sur la sole et nous appliquions notre délicieux fromage sur celles-çi. C’était un moment magique. La preuve est que je m’en souviens encore. Il y a quelques années, alors que je faisais l’épicerie, je suis tombé au hasard des allées sur cette fameuse boîte de fromage et je n’ai pas pu résister à m’en procurer. Le lendemain matin, j’ai tenté de recréer ce petit rituel d’enfant, en me préparant à déjeuner comme « dans le temps ». Quand j’engouffrai ma première bouchée, je ne pus me convaincre de la garder dans ma bouche plus longtemps. Le fromage jaune dans ma bouche avait une texture de plastique et un goût de composé chimique. Mon rêve a pris le bord, en même temps que le fromage fût recraché. Cette expérience gastronomique était à des années-lumières de mes souvenirs. C’était dégueulasse et aucunement comme je me l’imaginais. Au début, je me suis mis à penser que Kraft avait changé la recette et que le « nouveau Velveeta » n’arrivait pas à la cheville de l’ancien. La conclusion était pas mal plus primaire que ça : c’était moi qui étais nouveau dans cette expérience. C’était moi qui avais « évolué ». C’était moi qui avais affiné mon bagage gastronomique et était dorénavant capable de saisir les subtilités culinaires. Le goût du fromage Velveeta n’avait rien à voir là-dedans. Il n’avait pas été modifié depuis 40 ans. Mais moi, si.
Cette conscientisation n’est pas qu’applicable aux produits que nous consommons, mais aux gens que nous côtoyons, les lieux que nous visitons et les entreprises avec qui nous faisons des affaires. Nous sommes souvent sévères avec ces produits ou ces personnes par rapport à des changements perçus alors qu’ils ne sont imputables qu’à nous mêmes. Certes, le monde évolue, mais rarement au même rythme que nos perceptions. Si vous en doutez et que vous avez l’estomac solide, faites comme moi le test Velveeta.

3 commentaires

  • C’est drôle ce billet…
    Ça me fait penser à la réflexion d’un artiste connu dont je vais taire le nom mais qui, après qu’on lui ait demandé si le public pouvait garder espoir de le voir rejoindre son ancien groupe avec lequel il avait connu fortune et gloire il a répondu:
    «Personne ne souhaite retourner vivre avec ses parents, ses anciens professeurs ou ses anciennes compagnes».

    Qui n’avance pas recule comme on dit…

  • Ton artiste avait raison. On dit que le temps arrange les choses; il ne les arrange pas, mais les embellit ou les enlaidit. Bref, nos souvenirs se filtrent naturellement, se nettoyant de tous les irritants avec pour but de nous faire voir ce que l’on veut bien voir. Comparez vos souvenirs avec des personnes qui les ont partagés et vous n’arriverez pas aux mêmes conclusions. On est toujours d’accord avec soi-même…

  • J’aime bien ce billet. Il me rappèle une maxime que j’affectionne beaucoup.  »Tout n’est qu’interprétation et nous pouvons réécrire notre passé en posant sur lui un regard différent. »

Laisser un commentaire