Éthique ou pathétique?

Quand je suis l’actualité judiciaire dans les journaux ou à la télé, je me demande souvent comment un avocat fait pour défendre un individu pour un crime abominable dont il semble être l’auteur. Je me demande comment, au-delà du mandat professionnel, il fait pour défendre l’indéfendable, pour plaider un geste totalement à l’opposé de ses valeurs intrinsèques. J’imagine que si je me pose la question c’est que je n’ai pas les aptitudes demandées pour faire ce métier, c’est évident. Et tout à coup, en me regardant dans un miroir, je réalise que je suis moi aussi confronté, à moindre mesure j’en conviens, a peut-être outre passé mes convictions quelques fois. Profession oblige. Il faut dire que si le métier d’avocat criminaliste en est un dont la perception est sévère parmi la population en général, celui de publicitaire n’a pas nécessairement des lettres de noblesse. Jacques Séguéla (le fils de « pub »), publicitaire légendaire français n’avait-il pas écrit un livre pamphlétaire autobiographique au tournant des années 1980 intitulé « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité — elle me croit pianiste dans un bordel ». La publicité outre ses beaux clips que vous aimez échanger sur YouTube ou ses catalogues au graphisme impeccable que vous feuilletez est avant tout un mode de persuasion et d’incitation. On parle ici de mousser la consommation d’un produit, d’un service ou d’une idée, pas de créer des films ou des oeuvres d’art. On parle ici de vous convaincre ou de vous faire changer d’avis sur un sujet précis. Comme l’avocat, le publicitaire peut avoir des clients dont les valeurs sont très différentes des siennes. Un client peut faire appel à mes talents pour vendre un truc que je considère futile ou banal, il peut aussi me demander de vous convaincre que son produit est meilleur que celui d’un autre, même s’il sait que c’est faux. Et que moi aussi, je le sais. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller comme professionnel? Jusqu’où suis-je en mesure de faire mon travail de façon honnête sans sentir que je vais à l’encontre de mes convictions les plus profondes? Comment réussir à départager le travail et la vie de tous les jours? Il est là le problème. Les gens qui réussissent à mettre dans des cases différentes « famille », « boulot », « ami »et « client » sont capables de créer des liens personnels ou professionnels adaptés aux besoins. Pour les types, comme moi, pour qui la ligne est mince, c’est plus difficile. Je n’ai pas de multiples personnalités adaptables aux situations et j’ai des convictions et des valeurs indissociables de ma personne. Il m’est arrivé plus d’une fois de perdre un contrat ou un client uniquement parce que je pensais faire honorablement mon travail. À ce client qui voulait changer son logo malgré ma recommandation professionnelle de ne pas le faire, aurais-je dû lui mentir et lui en facturer un nouveau? Quand vient le temps de choisir entre charger des honoraires de création ou de conseiller un statu quo moins payant, on appelle ça de l’éthique au travail ou un travail pathétique?
Je suis là à m’ouvrir devant vous, mais qu’en est-il de vos propres valeurs comme consommateur? Comment réagissez-vous devant une entreprise qui ne les respecte pas? Vous fermez les yeux? Vous achetez quand même? Une entreprise a-t’-elle besoin de partager les mêmes valeurs que vous pour que vous décidiez de vous engager envers elle? Je me souviens d’une entrevue de François Avard, le scénariste des « Bougons » qu’il avait donné à «Tout le monde en parle», où ils faisaient la morale aux personnes qui décriaient les conditions de travail chinoises ou indiennes en leur suggérant de ne plus acheter au Dollorama. Il leur disait de poser un geste précis. Comme dis mon chum Black : faut que les bottines suivent les babines…

11 commentaires

  • Durant ma dernière vie, quand il m’arrivait de concevoir une interface WEB, j’avais remarqué que lorsque je ne croyais pas au produit, au client ou à l’organisation, j’avais de la difficulté à livrer un produit fini digne de ce nom. Je me suis déjà fait traiter de mustang indomptable, parce que je réagissais fortement avec des opinions clairs et tranchantes. Avec le temps, j’ai compris ce que tu appelles ton principe des cases et j’ai un peu arrondi mon caractère. Mais encore aujourd’hui il y a des sujets qui me bouleversent et me font réagir un peu trop fort.

    Quand je me sens floué comme consommateur, c’est certain que l’entreprise me perd, et rapidement. Par contre, je ne ferai pas de campagne de salissage pour me venger. Mais si quelqu’un me demande mon opinion, je vaus la donner avec tous les faits. L’écouteur se fera sa propre idée.

    Aujourd’hui, avec le rapprochement des opinions des gens et la vitesse à laquelle l’information se disperse, soit au grand jour ou à l’ombre, je crois que les organisations n’auront pas le choix de faire de plus en plus attention au client. Tranquillement, le client a de plus en plus de pouvoir et lorsque la masse va prendre le contrôle, comme les influenceurs le font aujourd’hui, ça pourrait faire mal.

    Mais vivre sans rien acheter, absolument rien, provenant de l’Asie ou de l’Orient, c’est impossible. La même chose pour vivre de matière recyclée à 100%… À moins de vive en hermite dans le bois et d’être d’une autonomie totale., je crois que c’est utopique de penser ça.

    Il y a toujours des actions positives à poser, mais il faut aller plus loin que la première image qu’elles reflètent…

  • …j’ai une question naïve ou plutôt de profane…

    En tant que publicitaire, n’as-tu pas un pouvoir d’aiguillage? Une espèce de «planification psychologique stratégique en sourdine»?

    Ça m’intrigue…

  • @ Jay
    2 points intéressants dans ton intervention : premièrement, sur les limites auxquelles nous sommes confrontées comme consultant. Tu as beau te battre et avoir les meilleurs arguments du monde, si le client ne veut pas de ton idée; tu es mort.
    Sur les produits fabriqués ailleurs, je partage parfaitement ton avis. Nous sommes dans une économie mondiale, je trouve moins aberrante une entreprise qui fait fabriquer ses trucs en Inde qu’un consommateur qui achète des asperges du Guatemala au mois de janvier… Question de perception, faut croire!

    @ Martin
    Le pouvoir d’aiguillage dont tu parles se trouve dans le professionnalisme de ton action. Tu diriges ton client dans la direction la plus sensée (selon toi), selon ton expérience et connaissance. Mais le marketing et la pub sont loin d »être des sciences exactes. Elles font trop appelant au coeur, à l’esthétisme ou à une culture générale pour que ta solution soit béton 100 %. Quand tu as pesé tous les arguments et que tu as vérifié ce qui pouvait se vérifier et que tu envoies ton client dans une direction x, tu as accompli ton travail du mieux que tu peux. Si le client dérape et décide que ta solution est inadéquate, sans pour autant donner d’argumentation valable, tu te retrouves devant deux choix: te plier à ses doléances ou persister au risque de perdre le client. Les deux options se défendent, mais disons que la deuxième est plus facile quand tu ne manques pas d’ouvrage…

    Un bon exemple de résilience : http://www.traitdemarc.com/2010/02/choisir-ses-combats/

  • Je lis bien ces propos mais est-ce qu’il n’y aurait pas eu des occasions ou le clients avait raison? Ou l’homme qui a son entreprise depuis 25 ans qui connait bien ses clients avait raison? Et celui qui pense à sa famille en ces temps difficiles et qui lui aussi fait des compromis qui des fois l’empêche de dormir mais qui ne vous le dira pas?

  • Oh que oui Annie! J’ai écrit un paquet de billets qui donnent la plupart du temps raison au client… Dans ma philosophie, je connais les tendances, mais le client connait le mieux son entreprise et son marché. Ne faut surtout pas voir le publicitaire comme le seul à détenir LA vérité… Je vois ça comme un travail d’équipe !

    Si tu as deux minutes, je t’invite à lire ces billets :

    http://www.traitdemarc.com/2010/02/client-1-creatif-0/
    http://www.traitdemarc.com/2009/11/on-a-les-clients-que-lon-merite/
    http://www.traitdemarc.com/2009/11/les-clients-de-mes-clients-sont-mes-clients/
    http://www.traitdemarc.com/2009/10/et-si-je-netais-quun-tremplin/

  • 18 mai 2010 at 10:33 //

    Interressant comment ce problème d’éthique touche pas mal toute les professions. On se demande comment un avocat peut défendre les intérêts d’un assasin, et en même temps, comment comprendre qu’un pneumologue travaill fort pour traiter un fumeur de longue date qui souffre d’une maladie pulmonaire qui s’est développé en raison de la cigarette. Je pense que dans ces deux situations ce sont des principes humains qui nous motive. L’assasin a le droit d’avoir une personne compétente pour nuancer l’indéfendable et le fumeur malade a un droit de vivre sans mourir noyé dans ses sécrétions.

  • Excellent commentaire Pierre qui a le mérite de remettre les choses à leurs places. J’ai pris la peine de nuancer mes propos et de surtout essayer de ne pas mettre mes problèmes « éthiques » au même niveau que d’autres. Mes décisions « difficiles » à prendre ne résulteront jamais en mort ou condamnation d’homme. Elles peuvent nuire à mon entreprise ou celle de mon client, mais jamais causer leurs pertes… On est loin des exemples que tu donnes. Oui, chaque profession se retrouve un jour ou l’autre devant un geste à poser dicté uniquement par sa conscience personnelle et professionnelle, raison de plus de s’ouvrir sur le monde et ne pas céder à un nombrilisme…

  • Et que dire de la réalité syndicale…
    Y’a des cas assez éthiquement (et tristement) questionnables au niveau de l’indéfendable…défendu.

  • Dans mon ancienne entreprise, l’équation vendre du service à une clientèle européenne avec des employés latins et des méthodes anglo-saxonnes s’est résolue à endosser un costume physique et (comporte)mental, point barre. Ceux qui ne sont pas d’accord (pas conforme à leurs valeurs) sont taxés de ne pas savoir prendre du recul, et 1) s’en vont, 2) obtempèrent en cachant leur désarroi, 3) comprennent la protection de l’identité/intimité qu’ils peuvent trouver à jouer un rôle derrière ce masque.

    J’y ai souvent expliqué à mes collègues sensibles, dont j’étais, comment travailler ce rapport au masque… pour ne pas crever dans le ridicule de la situation, gagner en sagesse et sérénité, sortir de là vivant et intègre, et avec un peu de chance, arriver à en rire… En affrontant le sordide pour mieux le dépasser, on apprend une infinie patience, la petite persévérance silencieuse des jours si longs… A n’être rien qu’un bout de décor en représentation, on choisit de ne pas mourir à l’intérieur en cultivant sa vigueur d’âme, son quant-à-soi, ce carburant d’esprit critique si essentiel à la survie ! M’enfin bon… C’pas livré avec le mode d’emploi, l’biniou…

    Comble du fantasme schizophrénique de ma nouvelle entreprise (intégrée parce que plus conforme à mes valeurs naïves de solidarité ; la p’tite maison dans la prairie, oué-oué) : alors que les dirigeants disposent d’un collectif de 200000 salariés attaché viscéralement à sa culture, fédéré autour de croyances tenaces et structurantes, ces entités pensantes veulent « faire comme les autres » (qui çà ?), et impulser vite et fort (!!) une culture « différente » (superman-manager-couteau-suisse-omniscient-e-learné), prête-à-appliquer, qui corrigerait tous les prétendus dysfonctionnements du système… Du management en pillule, auto-mutatif, attirant le client comme un rouleau d’adhésif, et mesurable en millions d’euros à court terme ? C’est possible, on vous dit ! (ce bon vieux Peter, inouï de perspicacité, y trouve à son principe un exemple parfait !)
    Mais aller parler aux gens, sur le terrain, pour expliquer le sens de tout ça ? Pour quoi faire, bande de réfractaires !!!

    Comment ça, j’ai l’air désabusé ?!…

    Là, je vous promets que je le cherche, le masque… mais je ne suis plus ni bien sure d’avoir envie de le trouver, ni sure d’arriver à me cacher derrière les ficelles en papier ! Et en même temps, c’est pépère Sartre qui l’disait, non ? « On joue tous un rôle, partout, tout le temps, qu’on en ait conscience ou non ». Alors autant avoir la possibilité de choisir un peu lequel, si tant est qu’on ne se dupe pas soi-même en croyant y arriver…

    Quant à ce qui guide mes achats ? 1) Les sous que j’ai durement gagnés dans mon porte-monnaie (et que j’ai à coeur de « bien » dépenser), 2) L’intuition fugace et instantanée en apercevant un objet, 3) La confrontation des deux injonctions paradoxales précédentes dans mon cortex fatigué, 4) En aucun cas ce que m’en dirait un quelconque média ou un congénère bien intentionné…

    Conclusion ? Pour vivre heureux, vivons cachés… (aaargh ! C’est l’crédo d’ma nouvelle directrice ! Ch’serais contaminée, croyez ?!!…)

    CeQu’ilFautDézinguer

  • @ Clef-re
    Les meilleures lois sont celles qu’on applique avec discernement. Porter un masque vous oblige à suivre un code de conduite fabriqué… qui peut se trouver à des kilomètres de vos valeurs personnelles. Pas facile de jouer à ça… et pas tellement stimulant.
    Désolé du temps de réponse… votre commentaire m’avait échappé! A+

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