Présent.

– Ne demande rien à mon oncle Antonio, là.

– Ben non, j’ai répondu à ma mère.

Nous sommes partis marcher sur la rue Racine, Antonio, l’oncle de ma mère – que j’appelais mon oncle pareil – et moi, du haut de mes 7 ans et lui de ses 70 ans.

Je suis revenu de la promenade avec une auto Matchbox.

– Il ne l’a pas demandé, a dit mon oncle en souriant, il l’a juste prise dans ses mains, m’a dit qu’elle était super belle et qu’il ne l’avait pas dans sa collection. Sans jamais la lâcher. Il ne l’a pas demandé. 

Ma mère a levé les yeux. J’avais sûrement un sourire.

Celui du petit criss qui a eu ce qu’il voulait.

Je ne m’en rappelle pas. 

Ni de ce souvenir ni d’autres d’ailleurs. 

C’est maman qui m’a conté ça ce week-end. Entre Trois-Rivières et Chicoutimi. Alors qu’on était monté déménager ma fille. Un road trip (Grand) Mother And Son. 

– Tu ne t’en rappelles pas?

– Ben non.

J’ai souvent l’impression de ne pas me rappeler grand-chose. Vague. Quelques bribes ici et là. Des fragments. Des odeurs. Des saveurs. Oui, j’ai des marques facilement identifiables, des jalons importants, mais tout autant du flou, des événements incertains dont je ne saurais garantir la véracité.

Dernièrement, j’ai beaucoup visité mon passé. Je suis allé où ça fait mal. Sous la galle. Quand tu grattes une plaie. Que tu vas au vif. Ce terrain glissant que tu préfères contourner, quitte à rallonger le parcours. Les brûlures. Internes. Celles qui ne paraissent pas. Les pires. Celles qui ne guérissent pas.

J’ai le malheur d’avoir perdu ma sœur et mon père. Mais j’ai surtout le bonheur d’avoir encore ma mère. 

Au présent.

Il me semble que c’est le seul temps où je suis bien. Le présent. Le passé me chagrine, le futur me fait peur. Au milieu, ça va. Je contrôle. Ou du moins, j’ai l’impression de. Le présent, c’est le temps que je préfère pour conjuguer ma vie. Les autres sont trop complexes. On fait des fautes en les accordant. Ou en se désaccordant. Anyway. 

Samedi soir, dans la chambre que nous partagions, je regardais dormir ma mère entre deux pages du roman Les gratitudes de Delphine de Vigan. C’est un privilège de voir dormir sa mère. C’est le retour des choses. Dans la colonne des plus ou moins, je vous garantis qu’elle m’a vu plus souvent dormir que moi je ne l’ai vu. Je la regardais en pensant que j’étais privilégié de l’avoir encore. En santé. Drôle et vivante. Plus que moi souvent. 

Jusqu’à mes 11 ans, j’ai eu la chance de vivre dans l’appartement, au deuxième étage de la maison de mes grands-parents où habitaient aussi les deux frères de ma grand-mère. OK, je n’ai pas toujours dit ça quand j’ai vu que des familles avaient des maisons somptueuses, plus qu’un trois et demi dans le bas-fond de la ville, mais, avec du recul et l’âge, je réalise que j’ai eu le privilège de descendre les marches et me sauver furtivement pour aller me réfugier et me faire gâter-pourri par tous ces petits vieux pour qui j’étais un être exceptionnel, sans défauts. Et ça, ben je pense que c’est ce qui m’a le plus bâti. Et surtout, non débâti. Être la vedette. Se sentir spécial. Se sentir aimé. 

– Je ne me souviens de rien, maman.

– Moi, oui.

C’est ce qui est le plus important.

Se sentir spécial.

Être chanceux de.

4 commentaires

  • 5 juin 2019 at 8:16 //

    Lire ton billet ce matin me donne sans doute le même sourire que celui que tu
    avais lorsque tu es revenu avec ta nouvelle auto Matchbox. Merci Marc….

  • 8 juin 2019 at 8:44 //

    Très beau texte. Le présent, c’est ce qui importe; c’est ce qui nous appartient et c’est là qu’on peut changer quelque chose. Le passé ne nous appartient plus, le futur ne nous appartient pas encore…alors profitons du présent pour faire de notre vie ce qu’on veut qu’elle soit. Continue d’écrire Marc, tu es toujours très inspirant! 😊😘

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