Monsieur, svp, êtes-vous heureux?

J’adore Vincent Delerm.
Tous ses albums.
Encore plus les derniers. Dans lesquels il a laissé tomber son côté léché, bon-garçon trop-bien.
Je l’aime encore plus depuis que ses albums sont remplis d’échantillonnages, de grichous, d’imperfections.
J’adore surtout Vincent Delerm pour ses textes. Comme son père, Philippe, il signe une poésie si simple qu’elle a le pouvoir de te désarçonner.
Les mots simples sont ceux qui te font fondre.
Que je t’aime, n’a d’ailleurs que quatre syllabes.
Ne me quitte pas en a cinq.
Non. Une.
Les mots les plus simples sont les plus incisifs.
Coupants.
Dans son dernier album «À présent», la trop courte pièce de 51 secondes «Êtes-vous heureux?» où s’entremêlent un remix de piano et un vieux vox pop d’une animatrice qui demande à des personnes âgées si elles sont heureuses, me chamboule à chaque reprise.
Bizarre.
Une chanson si simple.
À la limite, même pas une chanson.
J’avoue être plutôt scotché sur le vox pop.
Les réponses des petits vieux.
Qu’est que ça peut vous foutre.
Ça dépend de ce que vous appelez heureuse.
Non.
J’ai eu du bonheur, du malheur, j’ai eu un petit peu de tout dans ma vie, faut bien partager un peu.
Je suis trop vieux.
Des réponses tellement lucides.
Vraies.
À mille lieues des instagrammeux.
Avec leur bonheur de carton-pâte.
De bonheur retouché.
Comme ces statuts Facebook où le plus beau moment de toute ta vie est arrivé – alors que tu a à peine réalisé 10% de celle-ci.
Le plus meilleur de l’encore plus beau voyage de toute ta vie, pis de ta mort pis aussi de ta résurrection.
Pourquoi cette quête d’être heureux?
Pourquoi le crier si fort que vous l’êtes?
REGARDE COMME JE SUIS HEUREUX.
REGARDE-COMME-JE-SUIS-HEUREUX.
R-E-G-A-R-D-E.
Parce que c’est quoi être heureux?
C’est quoi au fond?
Ce sentiment si fragile.
Intangible.
Qui apparaît tout à coup pour rien.
Qui s’effrite pour encore moins que rien.
Tellement nombriliste.
Le fait d’être heureux est avant tout personnel.
Hier, le flétan qui se mêlaient aux piments forts, l’oignon rouge et les feuilles de céleri, l’odeur qui s’en dégageait, je suis certain qu’à ce moment là, j’étais heureux.
Quand j’ai trouvé le mot que je cherchais.
Quand j’ai attendu mon dernier vol à l’aéroport.
Ce but marqué dans un match de hockey que je regardais.
Une partie de Yahtzee gagnée.
Cette phrase magnifique dans ce livre que je lis.
Du chocolat noir.
Je sais que c’est futile.
Tout ça.
Mais je pense que le bonheur est là.
Dans ces petites choses.
Sinon, ben, c’est trop compliqué pour moi.
Beaucoup trop.
Je suis fait de porcelaine.
Qui se brise à rien.
Qui s’effrite à rien.
J’ai toujours vu le bonheur comme un truc trop complexe.
Comme une montagne à gravir.
Sans avoir le gabarit pour y arriver.
Comme une grosse bouchée.
Une grande enjambée.
Trop pour moi.
Alors je préfère m’attarder aux petites choses.
Sinon je suis déçu.
J’angoisse.
Monsieur, svp, êtes-vous heureux?
Oui.
Non.
Ça dépend.

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