Chroniques sri lankaises

C’est pas parce que j’écris moins ici que je n’écris pas.
Voici en vrac, les clins d’oeil envoyés sur Facebook pendant mon séjour au Sri Lanka.
Les lieux n’ont peu ou pas de rapport avec le texte, sinon d’indiquer où ceux-ci ont été écrits.


Colombo
J’ai marché sur Galle Road sous la bruine. J’ai seulement croisé quelques passants sur ce grand boulevard qui traverse la ville de Colombo. Un contraste avec ma randonnée de l’après-midi dans le vieux quartier de Pettah. Quartier marchand où chaque pouce est convoité. Des ces rues étroites, camions de livraison, scooters, tuk-tuk, transporteurs de chariot et piétons se partagent le peu de place que les commerçants leur laissent. C’est un véritable Tetris. Ça crie, ça klaxonne, ça se bouscule. C’est un capharnaüm. Ajoutez les odeurs, la promiscuité des gens et ça vous donne un portait plus juste. À ma première journée au Sri Lanka, j’apprivoise une nouvelle culture. De nouveaux codes. Certains que je connaissais, d’autres moins. Au resto où j’ai mangé ce midi, j’étais le seul caucasien. Un charmant monsieur m’a aidé à passer ma commande. Il a même pensé demander une fourchette. Les gens me semblent gentils, j’ai eu droit à quelques questions classiques (where u from? – ho itz cold), mais je ne suis pas sous le charme de Columbo. Elle est, comme la décrivent la plupart des guides que j’ai lus, une ville polluée avec de multiples chantiers de construction, avec quelques monuments coloniaux intéressants, mais sans plus.


Habarana
Lever du corps, 4h30.
La tête, elle, ne dort jamais.
Direction, station de train Fort.
Comme la tentative de la veille de me procurer un billet réservé assis en classe 2 avait été nulle, je me suis rabattu sur un qui me donnait le droit d’entrer dans le train sans savoir si je ferais le trajet de 6h assis ou debout.
Un gros 300 roupies. 2,40$. Au yable la dépense, je suis en vacances.
Billet en main, je me retrouve sur les quais sans savoir lequel va où. Pardon, Habarana, c’est où? 4, me dit la petite dame. Merci petite dame. Assis sur mon sac, je redemande à une autre petite dame. Habarana, c’est bien ici? Yes yes yes. Là, j’ai eu une crainte. Car le yes yes yes, en voyage, est la pire réponse à recevoir. Ça peut vouloir dire : je te dis n’importe quoi pour que tu cesses de me parler où j’ai rien compris et pour pas passer pour malpolie, je te pousse n’importe quoi. Ce qui, on en convient, arrive à la même conclusion : t’es dans la chnoutte. Finalement toutes ces gentilles dames avaient raison. C’était de vrais yes, yes, yes.
Donc, première expérience de train sri lankais.
Vieille locomotive. Vieux wagons. Vieux passager. Oui, oui. Je sais. Ça brasse comme dans une vieille machine à laver. Un vacarme sur les rames, fer sur fer, et l’on roule au max 40 km. Ce qui explique que la distance Colombo-Habarana, 241 km, se fait en six heures et des poussières. Heures qui ont passé super vite. Les multiples arrêts dans toutes sortes de Sorel sri lankais. Le décor extérieur. La vie intérieure agrémentée par les marchands ambulants, quêteux sans bras/jambe/voix, les enfants-gripettes et les passagers heureux de te baragouiner les quelques mots anglais qu’ils connaissent.
Ouere are zou from?
Canada.
Iz it cold?
Yes yes yes.


Kandy
Dimanche.
Jour férié au Sri Lanka.
Ici, à Kandy, c’est encore plus visible, car c’est le fief du bouddhisme et y’a du monde qui débarque à la tonne pendant les congés. Vêtus de leurs plus beaux habits blancs, ils convergent vers le Temple de la dent. Oui, oui de la dent, de Bouddha. Bon, je ne suis pas allé vérifier, mon quota de temples étant atteint, alors j’ai décidé de les croire sur parole si la dent est bien là. On a bien le cœur du frère André.
Alors.
C’était donc congé pour moi aussi.
Aucune visite à l’agenda. Jour de lavage. Ça fait du bien. Et promenade dans Kandy. Que j’ai bien aimé finalement. Malgré les critiques négatives des guides, j’ai trouvé la ville charmante et les gens super sympas. Comme c’est une ville très croyante, oubliez les partys jusqu’aux petites heures, il faut chercher fort pour trouver de la bière, mais y’a un pub anglais qui est parfait pour ça.
J’écris de là présentement.
À la sortie du marché où j’avais acheté des épices, le jeune Anouah qui a alors décidé de me faire un brin de jasette en m’accompagnant pendant mon tour du lac, m’a dit : hey beau chapeau (en anglais) et j’ai répondu istouti qui veut dire merci.
J’ai appris ça.
Et surtout néhé istouti. Non merci.
Car ici, faut l’utiliser à chaque pas. Non, merci pas de tuk-tuk, pas d’orange, pas de briquet, pas de montres, jusqu’à l’infini.
Et je n’ai pas de problème avec ça.
C’est mon devoir de touriste de me faire solliciter. Faut pas me rentrer dans les culottes et quand j’ai dit non faut pas me suivre jusque dans l’avion, mais c’est normal de se faire vendre de quoi. On est une business. Comme touristes. Et on a du cash. Beaucoup de cash.
Alors assumons notre richesse.
Même chose pour les achats dans les marchés: c’est ok de payer plus cher. Ça fait partie de la game. J’accepte l’arnaque. Pas le vol. Mais de me faire payer plus cher un truc, j’endosse ça. Surtout que la plupart du temps, on parle de peu d’argent. Et de beaucoup pour eux. L’an dernier, en Indonésie, j’avais partagé un taxi avec un couple de français et j’avais eu honte quand la femme avait piqué une crise pour moins d’un dollar. Devant ma face stupéfaite, elle m’avait répondu que, pour elle, c’était une question de principe. Principe de quoi? Je gagne en une heure ce que ce gars gagne en une semaine, peut-être par mois. Principe de merde, oui.
Donc, Anouah m’a accompagné pendant plus d’une heure autour du lac. Tu cherches de quoi? Non. Tu veux aller voir un spectacle. Non. Tu veux que je te montre le meilleur point de vue. Non. Mais aussi des questions sur nos pays respectifs. Au bout d’une heure, comme je n’étais pas un bon client, devant la pâtisserie, il m’a demandé où je m’en allais et lui ai dit à mon hôtel. Il m’a demandé : tu as quelque chose pour moi? Je lui ai sorti une poignée de change et il a filé s’acheter un pain.
Merci mon ami, qu’il m’a dit.
Y a pas de quoi.
L’amitié, ça n’a pas de prix.
Ou sinon si peu.


Dalhousie
Adam’s Peak. Montagne située à Dalhousie, au Sri Lanka.
Au sommet de la montagne, on trouve une cavité de presque deux mètres qui fait penser à une empreinte de pas. Les hindous y voient la trace du passage de Vishnu. Pour les musulmans et les catholiques, il s’agit de l’empreinte que fit le pied d’Adam. Pour les bouddhistes il s’agit de l’empreinte de pied de Bouddha. Pour les autres, comme moi, c’est pour la déesse Endorphine qu’il faut gravir le monstre.
Pour une fois que tout le monde y trouve son compte, laissons ça comme ça.
Donc, le pic d’Adam est escaladé chaque jour par des pèlerins et des touristes du monde entier.
17km aller/retour. 4500 marches. 2243 mètres d’altitude. 1000m de dénivelé. Idéalement, comme moi, vous vous levez à 2h30 et vous partez à 3h du mat’ pour apercevoir le soleil se lever, à votre arrivée, autour de 6h.
Tu pars avec deux couches de vêtements, tu enlèves tout ce que tu peux pendant l’ascension puis tu remets les deux couches, plus un duvet, parce qu’en haut, c’est frette rare.
T’as beau être pas pire en forme: des marches, ça tue.
L’acide lactique. Le cardio géré différemment. Tu te concentres sur la prochaine marche et là, tout à coup, sans raison, ta jambe est lourde.
Pendant l’ascension, j’ai entendu toutes les langues inimaginables. Des vieux. Des jeunes. Habillés full technique avec les meilleurs vêtements respirants ou bedon tout croches avec les babouches qui dérapent.
Toutes sortes de monde.
Et puis Dilshan, le moineau, ou petit moine bouddhiste, qui lui, l’a fait pieds nus du haut de ces 10 ans.
Ça valait une photo.


Nuwara Elya
Hier, train de Nuwara Elya à Ella.
Train public. Train du peuple.
Le train bleu pour l’express.
Le rouge pour les autres.
À peu près le même confort si tu es assis.
Même circuit sauf que le rouge arrête partout.
Partout.
Ce qui fait que si tu prends le bleu de 13h30 pour Ella, t’arriveras autour de 16h.
Si, comme moi, tu prends le rouge à 9h30, tu vas arriver à 14h.
Dans un train bondé comme une canne de sardines.
Fou.
J’étais dans le corridor près des portes.
Debout.
Pris entre tous les sacs à dos et les passagers.
Entre les deux portes, j’ai compté 14 personnes.
Plus des sacs à dos, des valises et des boites.
Espace vital : tes deux pieds.
Chaque mouvement provoque quelque chose.
Un sac empilé qui tombe.
Un coude dans le dos.
Si tu es du genre claustrophobe.
Ce n’est pas trop ta place.
Mais cette promiscuité provoque des échanges.
Tu rencontres d’autres voyageurs.
Des jeunes. Beaucoup de jeunes.
Pas mal le plus vieux dans le corridor.
Et comme c’est un train public, beaucoup de Sri lankais.
Empilés comme nous.
Pas de différence.
Ça fait mon affaire.
Je n’aime pas l’idée de me trouver assis privilégié dans un wagon alors que dans un autre s’empilent 200 personnes.
Je ne vis pas bien avec ça.
Alors dans notre petit corridor, tout ce beau monde a fait du mieux qu’il pouvait pour que chacun trouve son compte.
Tasser un sac.
Descendre un enfant du train pour le donner à sa mère.
Se passer un sac d’arachides.
De biscuits.
Rire surtout.
Parce que c’est drôle de se trouver comme ça.
C’est un voyage dans le voyage.
5 heures de randonnée.
60 cents.
Tu ne trouveras pas meilleur deal.
Pour voir le monde.


Ella
On peut difficilement parler du Sri Lanka sans mentionner le thé. Il est omniprésent dans les montagnes, autour de Nuwara Eliya, Haputale et Ella. Plus de 700 Tea Factory sur l’île. Des champs dispersés partout dans le centre montagneux de l’île.
Le Sri Lanka se classe quatrième dans la production mondiale après la Chine, l’Inde et le Kenya. Ce qui est exceptionnel quand on pense à la grandeur du pays.
Le thé du Ceylan est reconnu comme un des meilleurs. Thé noir décliné en plusieurs catégories.
On ne peut parler de thé sans mentionner les cueilleuses. Et il faut utiliser le féminin, car ici, ce sont uniquement des femmes qui en font la cueillette. Majoritairement tamoules. C’est un travail délicat et exigeant, surtout épuisant. On doit choisir les meilleures feuilles sur la pointe, tout en tentant de le faire le plus rapidement possible. Par la suite, placer les feuilles dans le sac qu’elles supportent avec leur front. C’est impressionnant de les voir travailler. Impressionnant et aussi difficile. Surtout quand tu imagines leurs vies.
C’est pourtant avec sourire que j’ai pu en photographier quelques-unes. Toujours avec permission.
Travailleuses acharnées, elles en cueillent près d’une vingtaine de kilos par jour. Du matin au soir. Tout ça pour moins de 5$ par jour. Comme pour le café ou le riz, vous vous imaginez bien que ce n’est pas eux qui reçoivent la plus grande part du butin lorsqu’on achète un sachet chez David’s Tea.
Thé amer.
Appréciez chaque gorgée.
Vous le devez à ces femmes.


Uda Walave
Paqueter.
Dépaqueter.
Rouler.
Plier.
Froisser.
Serrer.
Zipper.
Dézipper.
Ouvrir.
Fermer.
Empiler.
Gérer.
Assembler.
Laver.
Étendre.
Sécher.
Ranger.
Transporter.
Tirer.
Forcer.
Porter.
Faire.
Défaire.
Refaire.

Voyager.
Infinitif présent.


Galle
J’ai tout perdu dans le tsunami de 2004. Ma femme, mes enfants et ma maison. J’en suis sorti vivant, mais ma cheville est brisée.
J’ai regardé sa cheville. Ça ressemblait plus à un genou. Mais avec un pied au bout.
Tu peux me donner de quoi?
J’ai croisé un autre vieillard.
Un sari seulement, noué autour de sa taille. Pieds nus. Peau de cuir.
Tu me paies un carton de lait?
En bas de l’épicerie où je suis arrêté acheter de l’eau, y’avait cette vieille dame dans les marches. La peau multicolore. Vitiligo. Dépigmentation de la peau. Sa main cherchait l’aumône.
Elle ne m’a rien dit.
Et puis y’a eu cette femme et ses enfants. Le regard lourd, près du terminus.
Cet unijambiste. Assis à côté de moi dans le bus.
Le gars couché sur le trottoir.
L’autre madame.
L’autre enfant.
Celui-là. Celle-là.
En voyage, la misère est omniprésente.
Elle fait partie du décor.
Elle n’est pas attraction. Personne ne souhaite voir ça.
Personne.
Surtout pas nous.
Mais elle est là.
Dans ta face.
Sur ta peau.
Dans ton nez.
Parce que la misère, ça pue.
Ça rentre dans tes narines et ça te bouffe le cœur.
Malgré les kilomètres. Les pays visités. Tu ne t’y habitues pas.
Y a un clash qui se fait quelque part. Un malaise.
Tu essaies de faire la part des choses. Te dire que tout ce que ces gens racontent sont des bobards. De la bullshit à touristes.
Y’en a sûrement.
Tout se vend. Se monnaye.
La misère aussi.
Mais tu ne veux pas penser ça.
Parce que si c’est vrai et qu’en plus tu ajoutes l’injure de ne pas y croire, ça fait de toi un moins que rien.
Tu passes ton chemin.
Tu ravales ton malaise.
En te disant que tu ne peux pas sauver le Monde.
Que tu peux donner ici et là, certes, mais que ce sera peut-être plus à toi que tu feras du bien.
À ta conscience.
Que la misère ne disparaîtra pas en donnant 1$, 5$ ou 10$.
Non.
Elle sera toujours là.
Sur celui-là. Sur celle-là.
Ou un autre.
Dont tu ne prendras surtout pas la photo.


Negombo
Hey toi, mon Sri Lanka, tu m’as bien eu.
Pour être honnête avec toi, tu n’étais pas mon premier choix. Si le Myanmar ne s’était pas conduit comme un barbare envers les Rohingyas, je serais en train de parcourir ce pays. Je ne pouvais pas une minute endosser un pays délinquant par ma présence.
Donc, voilà. J’ai cherché une alternative.
J’ai regardé des photos, lu des livres et quelques blogues afin de m’inspirer.
Et tu sais quoi?
Je n’avais toujours pas envie d’aller te voir.
Ça peut paraître bizarre d’entendre ça, mais j’ai rarement une envie folle de me rendre à un endroit.
Pourtant, sur place, je ne voudrais plus revenir.
Bon. Voilà. J’ai décidé d’aller chez toi.
Sur ton île.
À reculons.
Je suis arrivé à Colombo et cette ville m’a donné toutes les raisons de penser que je m’étais vraiment trompé de destination.
Je n’ai pas aimé ta capitale.
Trop de pollution. Trop de klaxons. Pas assez de sourires.
Notre premier rendez-vous n’était pas génial, avoue.
Tu ne voulais pas de moi?
Alors j’ai pris le train et tu as commencé à te montrer un peu plus séduisant.
Les gens me saluaient. Me posaient des questions. Les enfants faisaient des coucous. Et j’ai commencé à manger ce que tes vendeurs dans le train apportaient avec eux.
On m’a souvent par le ventre.
J’ai commencé à goûter le pays.
C’est bon ce que tu fais.
Tes currys différents d’une place à l’autre.
Ton kottu roti qu’on appelle ici le repas des pauvres. Je vais te dire que si ça, c’est de la bouffe de pauvres, je veux bien t’échanger quelques repas de riches de chez nous. Tes samossas qu’on ramasse un peu partout sur la route; toujours une surprise à chaque bouchée, à se demander de quoi il est fourré. La plupart du temps épicé. Très. Et savoureux.
Tu sais quoi? 8O% de ce que j’ai mangé chez toi était végétarien. 20% de poisson. Ça m’a fait réfléchir sur ce que je mange chez moi.
Je me pensais ouvert, je le suis encore plus.
Et puis, j’ai vu tes montagnes.
Ç’a été mon grand coup de cœur.
Elles étaient magnifiques tes montagnes. Et les gens qui y travaillent aussi.
En fait. Je vais te dire. J’ai adoré toutes les places où vous étiez là, les Sri Lankais. Pas que je n’aime pas les touristes. J’en suis un, buddy, mais je préfère les villes ou villages équilibrés. Quand vous n’êtes pas dans un ghetto. Et que nous ne le sommes pas aussi par le fait même. Moi, j’aime que l’on soit parmi vous. Parce que vous êtes chez vous. Nous, on visite. Et c’est particulièrement ce que je viens chercher chez toi, cette différence. Alors, ne me sers pas de bouffe européenne ou américaine. La tienne est parfaite.
Quand je me retrouve dans un bar où il y a seulement des étrangers, je n’ai pas l’impression d’être chez vous. Tu comprends?
C’est pour ça que tu es surpris quand tu me vois débarquer dans un bouiboui pas habitué de voir des touristes. C’est là que je me sens le mieux. À manger comme vous. À vous regarder commander et manger.
Dans votre quotidien.
Je quitte le mien pour vivre le tien?
Ouais.
Ça peut paraître de l’extérieur comme ça. Mais pas de l’intérieur.
J’ai cette soif de voir le monde.
Et plus je bois à la source, plus j’ai soif.
Tu vas me laisser un beau souvenir, Sri Lanka.
Les belles histoires d’amour ne partent pas toujours d’un coup de foudre.
Tu en es la preuve.

1 Commentaire

  • C’est vraiment bien fait Marc, un vrai graphiste. D’ailleurs je pense être graphiste dans ma prochaine vie.

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