Mon double.

marc_renJe ne voulais pas d’enfants.

J’aurai été ce genre de gars là. Je n’avais pas cette fibre paternelle que je détectais chez certains de mes amis. Je me souviens de mon ami Yohan, mon premier coloc, qui m’annonçait fièrement que sa blonde était enceinte. Il était tellement content. J’étais heureux pour lui aussi. Même si je ne comprenais pas ce que représentait ce sentiment de devenir père. J’étais à mille lieues de ça. Avec mes cheveux crêpés, mes bottes d’armée et mes vêtements rapiécés.

Pourtant.

Deux mois après cette annonce, j’apprenais, moi aussi, que tu ferais de moi un papa. Toi, mon fiston. Y’a près de 25 ans de ça, aujourd’hui.

J’ai eu le vertige quand je l’ai su. Une envie de me sauver. À l’autre bout du monde. C’était trop tôt pour moi. Pas prêt pour ça. Non. Je ne voulais pas entrer dans cette ère d’adulte. Je venais à peine de découvrir le monde, la vie et j’avais l’impression que ton arrivée mettrait une fin à une épopée exaltante et déjà trop courte : celle de l’irresponsabilité et de l’égocentrisme.

Je me souviens d’avoir appelé des chums pour leur annoncer la nouvelle. Je n’ai plus vraiment de souvenirs de cette soirée par contre. Noyé dans la bière et les larmes, j’ai parlé de mes peurs de ne pas assumer. Je parlais de la fin. Alors que j’aurais dû parler du début.

Et puis tu es arrivé. En avance. Prématuré. Avec ta face de souris et tes abondants petits cheveux blonds. Minuscule comme une poupée. Tu étais plus dans ma tête, mais bel et bien là. En vrai. En vie. Je me souviens d’être allé l’annoncer à ta grand-mère et ton arrière grand-mère. Tenter de dire, à travers les larmes, toute la beauté de ta naissance. Du choc que j’ai eu en touchant tes petits doigts. De te voir arriver, petit Marc minuscule. Un petit bonhomme qui entrait dans mes deux mains. Je ne pouvais pas te renier. Tu étais mon portrait caché.

Dans ce petit appartement ordinaire qui mangeait tous mes revenus, on s’est débrouillé, ta mère et moi, pour te créer un environnement plus ou moins adéquat. On avait un maigre salaire pour trois, pas d’auto, le minimum de meubles, et nos propres parents qui nous aidaient à te créer un petit chez toi. Facile? Pas vraiment. J’étais comme une balance. Heureux de t’avoir dans mes bras, malheureux du contexte dans lequel tu étais arrivé. Comme si on m’avait catapulté dans une autre galaxie. Autour de moi, je voyais des parents de mon âge plutôt bien nantis; tellement loin de ce que nous vivions, nous, comme famille.

Tu es devenu un petit homme enjoué. Tellement facile à vivre. On a déménagé. Encore et encore. On a acheté une maison. Ta sœur est arrivée. La vie est devenue plus facile, financièrement parlant. Et plus difficile, sous d’autres plans.

Et boum, en plein pendant ton adolescence, on a dû se séparer.

Trop loin. Beaucoup trop loin.

Le gars qui ne voulait pas d’enfant et qui devait maintenant s’en départir en a pris plein la gueule. Contre son gré. Hey. Je n’étais pas fait pour ça non plus, te quitter.

Te dire tout le mal que ça m’a fait. Que ça me fait encore.

Quand je te vois aujourd’hui. Grand. Fier. Droit comme un piquet. Le cœur sur la main. Ouvert aux autres. Toujours présent. Quand je te vois aujourd’hui et que mes bras ont de la misère à faire le tour de tes larges épaules, j’ai un sentiment de fierté incroyable. Tu es devenu tout qu’un homme. Tu es quelqu’un d’exception. Tu as gardé la candeur de tes jeunes années doublée d’une grande maturité. Une belle et grande insouciance contrôlée.

Aujourd’hui, il y a près de 25 ans qui nous séparent. J’ai pourtant l’impression de ne jamais avoir été aussi près de toi. Comme quand tu te couchais sur mon ventre, sur ce divan crado qu’on recouvrait d’un jeté pour cacher les trous. Nous sommes tellement proches. Pas physiquement, mais dans nos têtes. Cette même ligne de pensée. Ces valeurs que l’on partage, toi et moi. Notre caractère. Notre sens du devoir. On se ressemble, même si cette année, j’aurai le double de ton âge.

Plus je te vois et plus je t’admire.

Fier comme un paon.

Fier comme un papa.

Bonne fête, mon gars.

2 commentaires

  • Si ce billet était le seul cadeau que tu offrais à Renaud pour son « quart de siècle » ce serait un méchant beau cadeau 🙂 Beau billet encore une fois Marc.

  • 29 septembre 2014 at 20:34 //

    Ok, eummm… bon….. par où commencer….. Je ne sais quoi dire face à un texte si touchant et bien écrit sauf peut-être merci pour tout papa, surtout d’avoir prit le temps de reserrer les liens à la fin de mon adolescence ainsi que d’être rester toi-même. Je t’aime de tout mon coeur. 🙂

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