Le rêve est une seconde vie.

fibrosekystiqueCindy est décédée mercredi. Le lendemain de Noël. Elle avait 26 ans.

Elle était atteinte de la fibrose kystique. Maladie génétique qui touche les voies respiratoires et digestives entraînant un épaississement du mucus sécrété dans les bronches, les sinus, l’intestin, le pancréas, le foie et le système reproducteur.

J’ai rencontré Cindy, il y une dizaine d’années, lorsque j’ai réalisé le film «Le rêve est une seconde vie». Un documentaire commandé par CORAMH (un organisme à but non lucratif qui œuvre dans le domaine des maladies héréditaires au Saguenay-Lac-St-Jean), ce film avait pour but de démontrer le quotidien des personnes atteintes de telles maladies. Des malades ou des parents d’enfants atteints s’étaient livrés sans pudeur à notre petite équipe, répondant généreusement à toutes nos questions, même celles pas toujours faciles portant sur leurs intimités.

– Ton rêve, ça serait quoi, Cindy?

Celui d’avoir des enfants.

Elle avait répondu de sa petite voix enrouée, comme si elle était à bout de souffle, cet état si caractéristique des personnes atteintes de la fibrose kystique. Assise dans son lit d’hôpital, en plein gavage, elle nous avait raconté les aléas de sa maladie. Le nombre incalculable de médicaments à prendre, ses visites impromptues et régulières à l’hôpital comme le jour de notre rencontre, le claping qu’elle devait s’imposer pour libérer ses poumons embarrassés. Elle nous avait aussi parlé de son chum qui la supportait tellement, qui lui remontait le moral dans ses moments de découragements.

Elle était toute menue, si frêle, dans ce grand lit immaculé. Fragile, certes, mais en même temps, si résiliente pour son jeune âge. Je me souviens de l’avoir entendu dire qu’elle se trouvait plaintive (!), qu’elle n’avait souvent pas la force de se battre. Je n’en revenais pas. Son quotidien était rempli de règles à suivre, de barrières, de médicaments à prendre, de deuils à réaliser. Et elle, du haut son minuscule corps malade, elle avait cette certitude qu’elle pouvait être plus forte.

Ce sentiment, toutes les personnes croisées pendant le tournage me l’ont partagé. Alors que je m’attendais à interviewer des gens abattus, sans espoir, j’ai plutôt rencontré des gens d’une force incroyable, luttant contre leurs corps, leurs peurs et une société pas toujours adaptée pour eux.

Quand Anne, la directrice de CORAMH à l’époque, m’avait approché pour la réalisation de ce documentaire, j’avais menti sur mon expérience dans un tel mandat. Mises à part ces quelques réalisations de publicités, je n’avais jamais produit un tel document. Mais je voulais le faire. Égoïstement, je savais que ce film changerait ma perception par rapport à la maladie et surtout me ferait rencontrer des gens incroyables. Je ne m’étais pas trompé.

Vingt heures d’entrevues pour une demi-heure de film. Écoutées des vingtaines de fois afin de ne rien manquer et de rendre du mieux que je pouvais ces rencontres inoubliables. Ces heures à réécouter des confidences, à revoir ces larmes apparaître au bord des yeux, de voir ses poings se refermer sur des colères non assouvies. Des heures à comprendre que l’humain est fort quand on l’attaque, qu’il est capable de vivre l’invivable. Cette volonté de se battre, de ne pas laisser le destin avoir le dessus.

Aujourd’hui c’est aux proches de Cindy de se battre. Leur combat commence. Celui de tenter d’oublier, de se ressasser les bons moments, de reprendre le cours de leur vie en conservant les meilleurs souvenirs pour les moments les plus difficiles. Survivre à la perte d’un être cher, c’est se retrouver en face de soi-même.

Cindy n’aura pas réussi à réaliser son rêve.

Le rêve est une seconde vie avait dit Gérard de Nerval.

Souhaitons à Cindy que cette seconde vie soit encore plus belle que dans ses rêves.

 

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