Frères d’âmes

Je m’en souviens comme si c’était hier.

J’avais mis des culottes brunes palazos par-dessus des bottes de cowboy en plastique, un veston en velour côtelé beige avec patchs aux coudes enveloppant une chemise blanche à fines lignes (brunes aussi) assortie d’une mince cravate en cuir. J’avais certainement lavé mes cheveux avec du Head & Shoulder, mon corps avec du Irish Spring, caché mes boutons avec du Clearacil. J’étais top shape comme seul peut l’être un gars de 4 pieds, pesant moins de 100 lb. J’étais un pur produit des années 80′. Kitsch, sans trop le savoir.

J’ai attendu l’immense Ford LTD de mon ami Sylvain qui est venu me cueillir chez mes parents pour nous diriger ensemble vers l’Hôtel Chicoutimi.

Nous allions enfin enterrer nos derniers jours de secondaire.

Fini. Terminé.

C’est ce que je pensais, à l’époque. En fait, c’est ce que je pensais jusqu’à samedi passé.

Samedi, j’ai revu 52 gars sur les 99 avec avec qui j’ai terminé mon secondaire en 1982. 52 gars connus y plus de 35 ans, au début de l’adolescence. Même si « se connaître » est un très grand mot. Car entre 12 et 16 ans, on cohabite beaucoup plus qu’on en apprend sur les autres. On occupe le territoire. On tente du mieux qu’on peut de prendre sa place. On développe des alliances. On cherche des compères avant tout pour mieux se défendre si nos ennemis tentent une manoeuvre. D’où l’importance du nombre dans la balance. À l’adolescence, on est toujours sur nos gardes. L’ami du moment peut changer de camp sans crier gare et devenir ton pire cauchemar.

Pourtant samedi, en entrant dans cette salle, j’ai revu les mêmes faces de ti-culs qui, même si la plupart étaient plus grisonnants ou plus bedonnants – avaient à peine vieilli. On a très peu eu de discussions professionnelles. Très peu. On a parlé blondes, enfants, divorces, mariages.  On a ri et pleuré. En pensant à ceux qui nous avaient déjà quittés. Y avait plus d’intimidés, d’intimidateurs, ni de vieilles querelles. Y avait plus de sportifs, d’artistes, de surdoués ou de moins nantis. Un mélange des genres. Uniquement 52 gars venus voir 52 autres gars. Sans attente aucune.

Mais y avait un sentiment spécial qui émanait en chacun de nous. Une sympathie palpable. Un respect sensible.

J’ai tout de suite mis ça sur le compte de la maturité. À 47 ans, on a tous évolué à notre manière, en connaissant des hauts et des bas. On a tous navigué notre barque contre vents et marées en tentant de garder le cap de nos vies. En faisant les efforts nécessaires pour être heureux. Du moins,  en posant les gestes qu’on considérait honnête pour y arriver. On a tous eu de dures leçons, de grands échecs ou de grandes joies. Mais y avait autre chose. Une émotion perceptible qui me titille depuis dimanche matin. J’en ai parlé à plusieurs confrères depuis samedi. Tous ont eu la même impression d’allégresse. Cet arrêt sur image. Ou le temps était devenu accessoire. Ou le temps n’avait plus aucune prise sur nous.

Comment 52 gars qui ont passé à peine 5 ans ensemble, mais qui ne sont pas vus pendant plus de 30 ans, pouvaient dégager autant d’énergie au contact de chacun d’eux. Comme s’ils étaient indissociables des uns des autres.

Je ne suis pas croyant. Mais ce soir-là, j’ai senti qu’une âme était présente en chacun de nous. Une âme qu’on partageait tous.

Ce soir-là on ne faisait plus qu’un.

On était devenus des frères d’âmes.

2 commentaires

  • Tu exprimes tropbien ma pensée. Comme si ces 30 années s’étaient réduites à la plus simple expression, 30 secondes. Merci d’exprimer tout haut ce que la majorité ont ressenti tout en bas, profondément dans l’âme!

    Un des 52 survivants (puisqu’il en est vraiment ainsi).
    JFD

  • J’ai rarement regretté autant une indécision. J’ai trouvé plein de bonnes excuses pour ne pas être là : les finances, la vie professionnelle, la distance…

    La vérité : Je n’ai pas fait assez confiance aux gars. J’étais convaincu que le groupe n’en avait rien à cirer de me voir la bette. Je me disais qu’avec ma misérable vie de traducteur, la comparaison serait trop douloureuse et que certains d’entre eu me feraient revivre des sentiments réducteurs.

    Le Séminaire n’a pas été une belle expérience.

    Ma vie d’ado était tourmentée. J’étais complexé d’être petit et de voir des gros gars essayer d’en imposer avec leur carrure, de voir des sportifs faire étalage de leurs faits d’arme de manière suffisante, de voir des gars en moyen se promener en voiture sport quand je pédalais de mon bord sur mon vieux dix vitesses, de voir les beaux garçons se promener avec de belles filles quand je me voyais boutonneux avec de grosses barniques de fond de bouteille, de me faire rudoyer par des profs aux comportements douteux.

    Un jour, j’ai pris un risque en invitant un gars de ma classe à la maison. Il est entré dans ma chambre, a regardé le contenu de ma garde-robe et m’a dit : Tu n’as que trois paires de pantalons, câline comment ce que tu fais? Pis comment vous faites pour vivre dans une maison aussi petite? Ma mère était extrêmement peinée et moi catastrophé. Vous savez maintenant pourquoi il a été le seul gars de la gang à me visiter…

    Ce sont ces petits riens, mais qui ont causé de grandes blessures à une autre époque, qui me sont revenus à l’esprit quand il a été question de cette rencontre.

    J’ai eu la chance de parler à Mario J., à Marc G., à Luc L. et à Hervé C…. et j’ai reçu près d’une vingtaine de courriel très cordiaux et affectueux.

    Ce nouvel esprit m’a touché profondément, et je me suis excusé auprès des gars de ne pas leur avoir fait plus confiance.

    La prochaine fois, si la santé est toujours au rendez-vous, je serai là.

    Et aux gars du groupe… BRAVO pour cette belle maturité qui vous honore!

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