Chroniques sénégalaises 10 – Ataya


Ismaël souffle sur le charbon pour ranimer la braise. De gris mort il passe au rouge vif. Le feu ressuscite dans le réchaud. Ses grandes mains déchirent lentement la boîte libérant par la même occasion le sachet de thé, les feuilles tombant minutieusement dans la théière comme si chacune d’elle était comptée. Une seconde boîte est entamée et la moitié de son contenu rejoint l’appareil.La préparation du thé, ataya en wolof, est une cérémonie ou chaque action a son importance. Le temps étant son principal ingrédient. Il faut compter près d’une heure trente pour goûter aux trois services qu’elle comporte.

Ismaël verse l’eau dans la théière et commence l’infusion. Quand l’eau a bouilli, il ajoute deux verres de sucre blanc et deux sachets de sucre vanillé. Le premier thé est le plus fort et le plus sucré. Il se verse un petit fond pour goûter. Un son de satisfaction sort de sa bouche. Il peut commencer à mousser. D’un geste précis, il verse un premier thé dans un verre à une hauteur qui permet au liquide de rebondir et ainsi créer une écume dans celui-ci. D’un verre à l’autre, il transfère le liquide. Il répétera cette mécanique à plusieurs reprises, jusqu’à ce que la texture de la mousse soit comme il le désire et remet la boisson au complet dans la théière pour une infusion de finition. Tout au long du processus, il lave constamment l’assiette sur laquelle sont posés ses deux verres traditionnels et l’extérieur de ceux-ci. La propreté est un souci constant de l’ataya.

Ismaël verse deux verres qu’il nous tend. La boisson est chaude, très forte et très sucrée. J’adore. Quand tout le monde a bu dans le même verre, la préparation du deuxième thé peut commencer. La moitié de thé et de sucre sera versée dans la théière. Le deuxième service sera moins fort.

Assan, le bavard dit qu’Ismaël, le taciturne est le meilleur pour préparer le thé. Tous les jours, c’est lui qui le préparera pour tous ses amis, incluant nous. Élevé par un marabout, il a réussi à s’enfuir à dix-huit ans et ainsi se libérer de son emprise. En théorie, un marabout est un intermédiaire entre dieu et les hommes, en pratique ils sont souvent des charlatans qui prétendent avoir des pouvoirs magique et religieux. Ils profitent ainsi du titre respecté de marabout pour gagner rapidement et aisément de l’argent en arnaquant la foi de gens sans défense. Plusieurs familles comme les parents d’Ismaël donnent leurs enfants pour que le marabout se charge de leurs éducations. Ils sont ainsi battus et forcés à mendier sans jamais revoir leurs pères et mères. À la clinique, plusieurs de ces enfants ont consulté les infirmières en place, créant beaucoup d’émotions autour de nous. Les histoires de ses enfants sont souvent dramatiques et arrachent le cœur. Dans leurs yeux se lit une tristesse infinie qui s’est rapidement transmise à notre équipe. La misère est un virus qu’on partage facilement.

Quand Ismaël prépare le thé en silence, on pourrait penser que plusieurs souvenirs se bousculent dans sa tête. Des images qu’il ne pourra jamais oublier. Des cicatrices de vie. Comme celles retrouvées sur la peau de ses enfants, causées par des coups violents.

Le thé s’infuse tranquillement. Le dernier service auquel un demi sucre, mais aucun thé ne sera ajouté à une saveur plus amère. Peut-être pour rappeler à Ismaël ce passé pas très lointain où la vie était un poids beaucoup plus lourd que le temps.

Que la chaleur que ton thé de l’amitié provoque dans nos coeurs te soit remise au centuple, mon ami Ismaël. Tu le mérites bien.

3 commentaires

  • 22 janvier 2012 at 21:48 //

    Après la lecture des de tous les récits, vous avez surement sensibilisé beaucoup de personnes à la misère du peuple Sénégalais. Votre geste humanitaire incitera surement d’autre gens à poser des gestes en ce sens. Félicitation à tout le groupe.

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