Premier degré

Ce n’est pas un truc nouveau. Je sais. Je travaille dans le domaine des communications depuis assez longtemps pour réaliser la chose. Mais toutes les fois, je suis stupéfait. Stupéfait et un peu déçu. Ça ne me revient pas. L’absence généralisée de dimension des gens me décourage.
Aussitôt que l’on sort un tant soit peu de l’ordinaire, on perd du monde comme ça ne se peut pas. Difficile de sortir les gens de leur routine, leur « steak, blé dinde, patate » est ancré dans leur petite personne et est y incrusté comme une tare. Le changement fait peur. Terrifie. Ça me rappelle quand les ados à la maison parlent du pain « normal » pour différencier le pain chimique capable de rester moelleux pendant 100 ans (!!!) du pain sorti de la boulangerie artisanale qui devient rassis presque le lendemain. La normalité, comme dans bien des cas, est dictée par une notion de nombre. Tout le monde mange de la marde, alors de la marde, c’est bon… Ça ne peut être autrement. Le nombre le dicte. C’est donc vrai.
Si les gens voyaient plus loin, au-delà des images et des mots qu’on leur suggère; s’il prenait la peine de voir plus loin que leur nez, ils verraient que la réalité a plus d’un visage. Que leurs vérités personnelles ne seraient pas aussi tranchantes et radicales s’ils se donnaient la peine de sortir de leurs nombrils. Qu’il existe plusieurs solutions à un problème. Que la saveur du moi, c’est pas toujours la meilleure.
Quand on sonde la population, quand on les interpelle, il est souvent navrant de voir la petitesse dans laquelle se vautre celle-ci. Comme si le monde s’arrêtait à leur dimension personnelle. Fini. Plus loin, c’est le néant. Un dead end. On gobe les âneries que nous dictent de parfaits inconnus dans des émissions de télé-réalité, on leur accorde autant d’importance que si ces élucubrations venaient d’Hubert Reeves lui-même. On reste au premier degré. On effleure les sujets. On a le nez dans le sommaire sans entrer dans le livre. On fait du lèche-couverture, mais on ne lit pas le contenu.
Il me semble que le monde a tellement à offrir. Que les idées des autres peuvent vous amener à douter des vôtres et ainsi les améliorer. Qu’à force de se trouver bon, on y croit un peu trop et que l’on néglige de se contester. L’auto-critique est tellement un signe d’intelligence.
J’admire ces gens qui se trompent. Se tromper, c’est s’être donné la chance de créer de quoi de nouveau. Ça n’a pas fonctionné? Peut-être pas cette fois, mais ça ne veut pas dire jamais. J’aime ces entreprises qui prennent des risques. Des entreprises bâties sur de la passion et non des chiffres. J’aime quand ces entreprises sortent des produits avec leur coeur et non leur tête. Quand elles préfèrent se fier à leurs pifs au lieu de sonder ses clients potentiels. Si on avait demandé aux clients d’Apple comment ils voyaient le futur iPhone avant sa sortie, on n’aurait jamais eu droit au produit que l’on connaît maintenant. Parce qu’il n’existait pas avant. Il a fallu l’inventer. Les gens ne peuvent exiger que ce qu’ils connaissent. Alors, bye bye l’innovation.
En regardant l’image de désodorisant qui orne mon billet, certains y verront de l’ironie, d’autres y verront uniquement un bâton antisudorifique. Certains resteront au premier degré, sans se donner la peine d’aller plus loin. Ils n’auront pas tout à fait tort : les gens qui restent au premier degré me font suer…

3 commentaires

  • La profondeur. Celle du propos, de l’amour, de la qualité. C’est la sculpture dont il est question. D’abord le brut, puis peu à peu, le travail de précision. Comme l’écrivain qui revisite son texte plusieurs fois. Le prix de la quintessence se paie en patience.

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