Le pouvoir au peuple.

Je suis passé en coup de vent chez mon client Chlorophylle pour discuter t-shirt avec la responsable de la collection, Katy Bond. Alors que je m’apprêtais à partir, je suis allé faire des coucous à Josée et Jay au département marketing. On a discuté du sujet de l’heure en branding sur les interweb: le nouveau / déjà dépassé logo de Gap. Pour ceux qui ne sont pas au courant, la chaîne de vêtements Gap a effectué un 180 degrés fulgurant par rapport à son identification visuelle. Après avoir annoncé un changement majeur de logo, elle a dû revenir sur sa décision quand la communauté internet en a décidé autrement. En quelques jours, les internautes du monde entier via Facebook et Twitter se sont mis à « basher » le logo avec une telle rage que la compagnie n’a eu le choix que de plier l’échine et de renoncer à son projet, préférant revenir à l’ancien plutôt que de courir le risque que la hargne ne se traduise par un recul de sa marque. Jay, fan des réseaux sociaux, mentionnait qu’il trouvait extraordinaire la force dissuasive émise par les internautes en la qualifiant « de pouvoir au peuple ». J’ai argumenté et émis quelques bémols là-dessus et profitant d’une course à Jonquière, je me suis mis à réfléchir sur le sujet. Je suis partagé sur ce fameux « pouvoir » surtout quant à sa perspicacité. Je vous fais part de mes réflexions… plutôt dures sur la notion de masse.

Le peuple n’aime pas le changement.
Les modes prennent toujours un certain temps à se rendre au public en général. En fait, quand la majorité du monde décide de l’adopter, les précurseurs sont déjà depuis longtemps rendus ailleurs à créer la prochaine. Alors que la majorité se vautre dans ce qu’il croit être la tendance, les early adopters regardent d’un oeil désabusé ce que la majorité prend comme « la » mode. C’est un cercle infini, alors que le monde en général suit la mode (passée), il jugent ceux qui fabriquent la prochaine… oubliant qu’ils l’endosseront, eux aussi, plus tard. La plupart des gens sont confortables dans la norme. Si tout le monde le fait, c’est que c’est bon. Et comme une masse ne bouge pas aussi facilement, le groupe préfère la stabilité au changement. La routine rassure. Bref, les gens n’aiment pas les événements qui bouleversent leur quotidien. Chaque fois que Facebook améliore certaines fonctionnalités de son réseau, on voit apparaître des groupes de protestations. Quand Hotmail annonce une nouvelle interface, on proteste. Quand on améliore le goût ce certains produits d’usage régulier, que l’on change son emballage ou son nom, les entreprises concernées sont toujours à risque de se faire critiquer. Le peuple n’aime pas le changement.
Changer les paradigmes du peuple est difficile, long et fastidieux. Une pub géniale d’Apple (Think Different) rendait hommage à ces êtres géniaux qui ont su changer le monde petit à petit grâce à leurs connaissances et leurs grandes volontés. Il faut avoir la couenne dure pour en arriver là. Si cette espèce rare de personnes n’existait pas, la plupart de nos vies seraient différentes.

Le peuple nivelle par le bas.
La facilité aura toujours l’avantage sur le labeur. La masse préfère s’amuser au lieu de travailler. Il en va de même avec ses loisirs. Si la télé demeure aussi populaire par rapport à la lecture, par exemple, c’est que pratiquer la dernière demande une certaine dose d’effort et de compréhension. S’écraser devant son téléviseur demande rarement un effort intellectuel, à moins d’écouter des émissions à contenu — encore ici, s’il faut se fier aux écoutes de la masse, les programmes préférés sont ceux qui ne font pas partie de cette catégorie.
La fibre syndicale qui veut que le maillon le plus faible de la chaîne fixe le niveau est encore un bel exemple que le peuple n’a pas tendance à vouloir viser l’amélioration. Les demandes syndicales sont la plupart du temps unidirectionnelles.
S’il fallait se fier au peuple pour avancer, ça se ferait à pas de tortue. Il faut des individus pour traîner le peuple. Il ne le fait jamais par lui même. Je prends souvent l’exemple de la musique, mais ce que l’on entend dans les radios commerciales est uniforme et inodore pour plaire au plus grand nombre de personnes. Il faut du cran pour découvrir des nouveaux sons; ça prend de l’ouverture. Quand le meilleur vendeur de disques du Québec est Sylvain Cossette et ses reprises 70′ s, le peuple a de sérieuses questions à se poser vis-à-vis sa possibilité à se réinventer et d’évoluer.

Le peuple vs l’individu.
Ce qui me dérange dans la notion de masse, c’est le partage de la pensée unique. La voix du peuple. J’aime penser qu’un individu peut à lui seul changer tout ça; tel un Henry Fonda dans 12 hommes en colère, où il réussit le tour de force de changer une à une les opinions d’un jury auquel il participe. Hélas, le contraire est plus souvent la norme : le peuple a le contrôle sur l’individu. Le mouvement de masse est plus facile à suivre que de le prendre à contre-courant. Plus facile et plus rassurant. C’est à ce moment que la subtilité individuelle se fond à la masse formelle du peuple. Si vous mélangez toutes les couleurs disponibles, vous arriverez à créer un gris uniforme. Rien de bien excitant, vous en conviendrez. Quand le peuple dicte ce qui est bon pour l’individu, celui-ci ajoute du gris à sa couleur personnelle, il devient moins différent, il s’efface au profit des autres.

Mon peuple est plus fort que le tien.
C’est fou comment un individu sans opinion en a une très franche quand elle est celle du peuple à qui il appartient. Comment un individu peureux devient téméraire quand il a l’appui de ses pairs. Comment le peuple donne du pouvoir. Dans la rue parmi des milliers de manifestants, l’individu est invincible. Hors du cocon, quand on lui demande de s’affirmer, l’individu est pas mal moins fringant…

Le peuple aime le peuple.
Le peuple aime croire qu’il a raison. Que puisqu’il est la norme, il est celui qui dicte le ton et qu’il faut suivre à la lettre ses recommandations. Le peuple n’aime pas la dissidencence, elle est source de conflit inutile. Quand le peuple voyage à l’étranger, il trouve que les autres peuples ne sont pas comme lui. Le peuple aime que le peuple lui ressemble. Le peuple aime le peuple.

Le peuple avait raison de s’en prendre au nouveau logo de Gap? Peut-être. Mais il ne l’a pas fait pour les bonnes raisons.

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MAJ

Suite au commentaire de Martin, j’ai décidé d’en ajouter un brin…

Le peuple aime suivre le peuple
Un lemming. Un mouton. Le peuple est un mouton.  Un suiveux, comme on dit. Le peuple aime embarquer dans les histoires que le peuple lui dicte. Comme un lemming. Et si cette histoire de logo était un leurre? Comme le suggère si judicieusement mon buddy Martin dans son commentaire, un leurre orchestré par Gap pour permettre au peuple de s’approprier la marque; ça viendrait corroborer cette théorie. First, le fait que Gap recule aussi rapidement et facilement sur leur décision est quelque peu louche – on parle ici d’une méga corporation / on parle aussi d’une mega agence de pub (Laird and partners) ; secundo, ça ne serait pas la première fois que le peuple tombe dans le vide comme les lemmings du jeu qui suivent leurs semblables. Ça ne serait surtout pas la première fois que l’on utilise les réseaux sociaux à de fausses fins propagandistes. On peut se rappeler le blogue du Bixi, avec ses « faux » blogueurs. Bref, si c’est le cas, le peuple aurait droit à une fausse victoire et Gap, à une belle campagne la peignant comme une compagnie à l’écoute de sa clientèle.

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8 commentaires

  • Entièrement d’accord…

    Les Galilée sont toujours moins nombreux que les évèques…

    Mais je me pose une question…La ‘contestation’ du logo de GAP n’aurait-elle pas été orchestrée?

  • Hahahahaha! J’adore!!

    Je suis d’accord… mais je suis toujours en admiration sur la mouvance du pouvoir. GAP aurait pu tenir leur position comme l’a fait Facebook avec leur nouvel interface l’an passé, mais il aurait fallu que les dirigeants ou responsables de la marque soient sûrs et certains de leur geste. Justement étant donné que le peuple semble, on va dire ici faible d’esprit, il faut les guider comme il le faut.

    Changement de sujet : j’adore 12 hommes en colère que j’ai découvert cette année. Je l’écoute souvent…

    Excellent article, ça valait la peine d’attendre 2 semaines ;-p

    Sans rancune!

  • @ Martin
    Haaaa… j’adore ton interrogation! Assez pour faire une mise à jour à mon texte…

    @ Jay
    La mouvance du pouvoir… je sais pas trop. Honnêtement je ne pense pas que les gens qui achètent Gap auraient arrêté de s’en procurer si la compagnie avait gardé leur position…

  • 16 octobre 2010 at 10:02 //

    En plus…a ce qu’on dit, la compagnie ne nage pas dans les surplus ($). Il faut se méfier d’un animal blessé prêt a tout.

  • 17 octobre 2010 at 11:02 //

    assez tordu quand même . Si c’est ça , c’est songé . Y a plus de boutte.

  • J’aime ça te lire. Je te visite de temps à autre.
    C’est vraiment intéressant. Moi aussi j’aime ça quant on est à contre-courant, (et qu’on soit capable d’expliquer nos idées) ça met du piquant. J’insiste souvent auprès de ma fille qui étudie en publicité à lire ton blog… c’est une bonne école pour elle.
    Moi j’ai d’autres projets maintenant, tu peux me visiter au http://www.atelierlalubie.com
    Bye!
    Françoise

  • @ Françoise
    Merci, c’est gentil! Si ta fille veut me rencontrer, ça me fera un plaisir de lui parler du métier!
    J’aime beaucoup le vitrail! Tu ferais des commandes spéciales, si j’en designais un?

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