Client 1 – Créatif 0

Il arrive quelquefois dans le métier que je pratique de ne pas trouver l’idée qui convient. De ne pas mettre le doigt sur le concept génial. De ne pas réussir à bien servir mon client. Ça m’arrive et ça arrive aussi à mes concurrents (peut-être l’avouent-ils moins candidement que moi, mais bon, c’est leur droit). La façon la plus facile pour se dégager du malaise d’échouer est d’attribuer le blâme au client. Le client n’a pas assez de budget. Le client n’est pas assez ouvert d’esprit. Le client travaille dans un milieu non créatif. Le client ne veut pas innover. Etc. En fait, toutes les raisons sont bonnes pour justifier que nous ne sommes pas arrivés à une bonne fin, à un bon concept. Oui, c’est vrai que quelquefois le client peut être la source de l’échec d’un projet créatif, mais avouons-le, 80% des échecs d’une campagne peuvent facilement nous être attribuées, à nous les créatifs. Lundi, je rencontrais un nouveau client afin de lui proposer un concept pour son organisation. Je m’en suis bien tiré, le client était satisfait. Même très content, je dirais. Pourtant, je ne crois pas que c’était l’idée du siècle. Rien pour gagner des prix. Rien pour mousser ma carrière. Mais un concept tout à fait adapté à ses besoins, sa réalité. Comme cela devrait se faire, normalement. I did the job.
Ça aurait pu ne pas lui plaire. Que l’idée ne l’accroche pas. Que ma solution ne soit pas appropriée. L’échec, quoi. Comme je ne suis plus un petit vert qui débute dans le métier, je me suis dit que cette « nouvelle » philosophie d’accepter une défaite était venue par la maturité. À la fois personnelle et professionnelle. La maturité professionnelle permet de dire les « vraies » affaires : de pouvoir dire à son client qu’il fait fausse route dans son cheminement; d’avoir de la crédibilité quand on le dit; de pouvoir lâcher prise quand la discussion ne mène à rien; mais surtout de ne pas penser que nous détenons la vérité avec un grand V. Oui, il se peut que le client n’aime pas notre idée, et il a peut-être raison de. Avec les années, j’ai énormément pris du recul par rapport à mon travail. L’attachement à un concept n’y est plus. Je me bats dans les limites permises pour le défendre, mais je n’y laisse jamais ma peau. Ne voyez pas ça comme un manque de conviction, mais plutôt comme une sorte de résilience. Le détachement est fort simple à réaliser pour moi : le concept que je propose à mon client est une simple piste ou un chemin que je lui suggère; il en existe des milliers, voire des millions, même si je n’en privilégie qu’une seule. C’est la meilleure? Pour l’instant, avec les informations que je détiens, oui, c’est l’option numéro 1. Cette idée est pour mon client, pas pour moi. S’il ne la trouve pas appropriée c’est que j’ai peut-être mal compris le mandat, mais peut-être surtout que je me suis complu à la trouver bonne. Les créatifs qui capotent quand on leur refuse un concept ont cette réaction parce qu’ils n’ont pas coupé le lien qui les unit à celui-ci. En fait, ils aiment leur idée. Parce que c’est leur idée. Et comme, ils l’aiment plus que leur client l’aime, lui, ils ne l’acceptent pas. Et par équation simple, le client à tort et ne comprends pas. Les artistes sont de grands incompris, on sait tout ça. Un vrai créatif est celui qui, après qu’on lui est refusé un concept, puise dans sa tête, s’arrache quelques cheveux et reviens à la charge avec mieux. Nous, les humains, sommes des sources infinies d’idées. Les vraies gens créatifs sont capables de se renouveller sans cesse, malgré les difficultés et les obstacles. Ce n’est pas en blâmant son client pour nos erreurs qu’on s’améliore, mais en cherchant à mieux cerner ses demandes, sa réalité, et surtout de créer en fonction de lui, et pas de nous. C’est pour ça que l’on nous engage, après tout.

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